Les 4 saisons du mal-logement
La politique, c’est l’art, comme dirait Jean-Vincent, de se placer. Et celle du logement ne déroge pas à la règle. L’an dernier, nous interpellions la ministre du Logement afin qu’elle se fasse couteau suisse : « Oh ! Pinel ! » Suite au remaniement, nous pouvons nous fendre d’un nouveau cri de guerre : « Eh ! Cosse ! » Car, avec Emmanuelle (et Jean-Vincent), c’est le retour des « écolos » au gouvernement et d’une verte au Logement. Tandis que la galaxie écolo n’en finit pas d’imploser, Emmanuelle Cosse est au moins sûre de voir son nom affubler un énième dispositif de défiscalisation. Bien se placer pour passer à la postérité…
Au-delà de ce changement de casting, qu’a apporté la lecture du 21ème rapport sur le mal-logement de la Fondation Abbé Pierre au modeste rédacteur de cet article ? Il se sent déjà moins seul ! Et ce même sans compter parmi les 141 500 sans domicile ou des 650 000 personnes hébergées chez des tiers. Ni sans figurer parmi les 3 millions qui sont privés du confort élémentaire ou subissant un surpeuplement « accentué ». Il se sent moins seul car, comme dans sa petite famille, « 5,8 millions de ménages se plaignent de signes d’humidité sur les murs », plus de 11 millions de personnes souffrent du froid, plus de 4 millions « vivent en situation de surpeuplement modéré » et presque 6 millions de personnes consacrent « plus de 35 % de leurs revenus à leurs dépenses de logement ». Parce que, aussi, il appartient au « halo » de 12 millions de personnes touchées par la crise du logement et fait aussi partie du million et demi de personnes qui attendent un logement HLM…
Il faut dire que l’auteur de ces lignes vit dans l’une des plus belles régions de France, à Marseille où, si les écoles publiques sont « la honte de la République », c’est probablement afin que les minots ne soient pas trop dépaysés quand ils quittent leur domicile pour aller s’épanouir à l’ombre des tableaux noirs. Ah, Paca ! Le ciel, le soleil, la mer… Une région de 5 millions d’habitants où près de la moitié des foyers ne sont pas imposables, où on compte « le plus de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté », avec pas loin de 10 % d’allocataires des minimas sociaux, la moitié d’entre eux l’étant depuis « plus de trois ans ».
Une région qui aime aussi les paradoxes. Si, depuis 2007, « le nombre de logements y augmente trois fois plus vite que la population » (alors que la part des résidences secondaires peut représenter jusqu’à un tiers voire près de la moitié des logements dans certains départements), cela n’empêche pas « la présence simultanée d’habitations vacantes et de logements surpeuplés ». Ainsi, à Marseille, dans l’hyper-centre, le taux de logements vacants oscille entre 10 et presque 20 %, avec une dépopulation allant jusqu’à 22 % dans certains arrondissements !
Pour compléter le tableau, la région se distingue par le « faible nombre de logements sociaux ». Car si, entre 2005 et 2015, la production de logements sociaux a doublé, « grâce aux pressions de l’Etat et la loi SRU », avec à peine 11 % de logements HLM, leur nombre est notoirement insuffisant. Pourtant 70 % des ménages y seraient éligibles (et même 85 % parmi les locataires du parc privé !). Et en plus la répartition des logements sociaux est très inégalitaire : la commune d’Avignon en affiche plus de 20 %, les quartiers nord de Marseille plus de 30 % tandis que, dans la région, sur les 146 communes contraintes de rattraper leur retard, 110 n’ont pas atteint l’objectif, 88 ayant fait l’objet d’un constat de carence, avec, parmi ces dernières, une dizaine affichant un taux de réalisation de 0 %.
L’Etat semble toutefois décidé à taper du poing sur la table. Au-delà des traditionnelles amendes, dans près d’une vingtaine de communes, le préfet va se substituer aux maires pour préempter des terrains, délivrer des permis de construire, mobiliser des logements vacants… Une démarche salutaire. Mais insuffisante. Dans une région où la construction est en berne avec un nombre de mises en chantier inférieur de 30 % aux objectifs, toujours plus de 100 000 demandes d’attribution d’un logement social sont en souffrance. Pour plus de 25 000 demandeurs, les délais d’attentes, anormalement longs, sont en moyenne de 5 ans ! Ce qui n’empêche pas une augmentation des demandes dans les départements alpins et dans les Bouches-du-Rhône.
Le gouvernement ayant renoncé à l’encadrement des loyers, pas étonnant alors que le taux d’effort moyen (la part des dépenses de logement au regard des ressources) dépasse les 20 % en Paca. 50 000 locataires aidés (soit près d’un sur cinq) affichent un taux d’effort supérieur à 40 %. Dans un tel contexte, les assignations pour impayés de loyers repartent à la hausse, dépassant les 18 000 dans la région, près de la moitié des procédures se concentrant dans le « 13 », dont 60 % à Marseille. Résultat, les décisions d’expulsion avoisinent les 14 000, celles-ci ayant augmenté de 10 % entre 2013 et 2014. Une hausse deux fois plus rapide que dans le reste du pays !
Et pourtant, du côté du Dalo (le Droit au logement opposable), si c’est en Paca que l’on trouve les trois départements (le Var, les Alpes-Maritimes et les Bouches-du-Rhône) qui sont, hors Île-de-France, en tête du nombre de recours, ce sont ces mêmes départements qui concentrent le plus de personnes restant malgré tout à reloger. Le nombre de demandes semble toutefois se stabiliser dans la région : le faible taux de rejet laissant à penser que le Dalo n’y est utilisé que dans les situations d’extrême urgence…
Alors, sans même évoquer les retards en matière d’aires d’accueil pour les gens du voyage ou du côté des places d’hébergement, à revoir une écolo, adepte dans sa jeunesse des actions « coup de poing » d’Act Up, squatter le ministère du Logement, le vert est peut-être malgré tout synonyme d’espoir. Encore que… A peine arrivée, Emmanuelle Cosse s’est déjà fait virer par Jean-Michel Baylet, le ministre de l’Aménagement du territoire, des locaux où elle devait installer ses bureaux.
« Eh !Cosse », pour une ministre du Logement, se faire expulser en pleine trêve hivernale, c’est vraiment la douche froide. Alors, même si la politique, c’est l’art, comme dirait Jean-Vincent, de se placer, peut-être, Emmanuelle, ma sœur, es-tu un peu trop « verte ». Mais, Cosse, ne perds point espoir. C’est bientôt le printemps. La saison des expulsions…
Sébastien Boistel
En mars (n°138) le Ravi s’est livré dans un cahier « très spécial » à une « revue de presse » du mal-logement en Paca, en distinguant, pour chaque saison, les grandes thématiques abordées par les médias et en mettant en avant un article emblématique d’un de nos confrères ainsi que ceux réalisés par le mensuel qui ne baisse jamais les bras…