L’écosystème méditerranéen touche le fond
« La mer c’est dégueulasse, les poissons baisent dedans », chantait Renaud lorsqu’il avait encore de la voix. Mais s’il n’y avait que les ébats des poissons pour polluer la Méditerranée, associations de protection de l’environnement comme scientifiques ne s’alarmeraient pas autant !
Considéré comme l’écosystème marin le plus riche de la planète, la Méditerranée abrite 8 % de la faune et 18 % de la flore marines mondiales alors qu’elle représente moins de 1 % de la surface totale des océans. S’y concentrent ainsi autour de 15 000 espèces, dont la deuxième réserve mondiale d’endémiques, celles que l’on ne trouve nulle part ailleurs (20 à 30 % du total), tels que les phoques moines, des tortues, des dauphins, le thon rouge, l’espadon, le mérou, les grandes nacres, les herbiers de posidonie et même les oursins.
Mais la grande bleue fait surtout partie des 34 « hot spot », points chauds, de la biodiversité mondiale et des écosystèmes les plus menacés par les activités humaines. Sans oublier le changement climatique. « Sous la pression de poissons herbivores venus de la Mer Rouge via le canal de Suez, le bassin oriental de la Méditerranée, Turquie comprise, est totalement désertifié. Les forêts de macro-algues ont disparu et ne restent que quelques dizaines d’espèces », illustre Paolo Guidetti, spécialiste italien des aires marines protégées (AMP) du laboratoire Ecomer de l’université de Nice. Des forêts de macro-algues qui jouent pour la Méditerranée le même rôle que l’Amazonie pour l’atmosphère…
La pression des bronzés
Un exemple, qui concentre à lui seul l’ensemble des pressions anthropiques exercées sur la Méditerranée : le tourisme, qui génère 11,3 % des emplois et 11,5 % du PIB du bassin méditerranéen. Entre 1970 et aujourd’hui, le nombre de touristes y est passé de 58 millions à plus de 310 millions (500 millions à l’horizon 2030), ce qui en fait la première destination mondiale avec 30 % de part de marché. Conséquences de cette croissance : l’urbanisation des côtes, une pollution accrue à cause du problème de la gestion des déchets, une surexploitation des ressources (eau, poissons, etc.) ou encore l’explosion du transport aérien et des croisières, particulièrement émettrices de CO2 (1). « On perd une richesse matérielle non monétarisée et on scie la branche sur laquelle on est assis », se désole Anne-Lise Müller responsable du pôle mer de l’antenne régionale de la Fédération nature et environnement (FNE Paca). Au même titre que les guerres ou le terrorisme qui freinent le tourisme en Egypte ou en Tunisie.
A l’instar de Paolo Guidetti, la militante prône un développement « modéré », « durable » en Méditerranée. A l’image des aires marines protégées, qui associent zones d’interdiction totale de prélèvement des ressources et zones d’activités économiques raisonnées. « Dans les zones de non prélèvement, les espèces sont plus importantes, y compris en taille des individus, ce qui rend la reproduction plus efficace. Ce dont profitent les zones tampons et de pêche par débordement », explique le chercheur.
Des gouvernements anémiés
Preuve qu’une autre méditerranée est possible, l’initiative des aires marines protégées vient parfois des pêcheurs, ou plutôt des artisans pêcheurs. C’est le cas dans le Var, ou la prud’homie de Saint-Raphaël en a créé une en 2003 au Cap Roux, entre la commune du golfe de l’Esterel et Mandelieu. « L’impact sur les ressources est difficile à démontrer, mais ce que nous avons pu quantifier c’est l’effet positif sur l’image des pêcheurs. On nous a invités jusqu’en Australie », explique Christian Decugis. A l’époque premier vice-président de la prud’homie à l’origine de l’AMP, il estime aussi important « de faire respecter l’arsenal de protection (sur les zones, les espèces) » déjà en place.
Un des nombreux problèmes de « gouvernance », pour reprendre le mot d’Anne-France Didier, la présidente du Plan Bleu, un centre d’activité régional du PNUE/PAM (2) basé à Nice spécialisé dans l’observation de l’environnement et du développement en Méditerranée. De la convention de Barcelone, signée en 1976 afin de réduire la pollution en Méditerranée et de protéger et d’améliorer son milieu marin, en passant par les conférences pour le climat et plusieurs accords, comme « une Méditerranée propre en 2020 », les outils et lieux de décisions ne manquent pourtant pas pour sauver la mare nostrum par un développement raisonné. « La vitesse de la montée des pressions est beaucoup plus rapide que la capacité des gens à l’intégrer ou de la mise en œuvre de [politiques] », regrette cependant l’ancienne directrice de la Dreal Paca. Exemple : « 70 % du millier d’AMP de Méditerranée ne disposent pas des moyens financiers et humains pour en produire les bénéfices », abonde Paolo Guidetti.
Oscillant entre optimiste et pessimisme, Anne-France Didier voit au moins deux freins au changement : « l’important lobbying des acteurs de l’économie bleue », à l’image des armateurs (30 % du fret mondial passe en Méditerranée) peu soucieux de développer des bâtiments « propres », et « les nombreux pays en conflits » où il est impossible d’agir. Mais de conclure, malicieuse : « On ne peut pas non plus dire que le Nord est parfaitement exemplaire ! »
Jean-François Poupelin
1. « Promouvoir un tourisme durable et inclusif en Méditerranée », Les Notes du Plan Bleu, sept. 2016. 2. Plan d’action pour la Méditerranée du programme des Nations unies pour l’environnement.
Enquête publiée dans le Ravi n°145, daté novembre 2016