L’école en bleu marine
Il y a un an, à l’université d’été du FNJ, le collectif Racine glosait sur la refondation de « l’école française » : pas de quoi réveiller le jeune auditoire, vite détourné par l’arrivée de Jean-Marie Le Pen. C’est peu dire que l’école n’est pas le terrain de prédilection du FN. Pourtant, pour la frontiste Valérie Laupies, directrice d’une école en ZEP à Tarascon : « Ce n’est pas de la com. L’école n’appartient pas qu’à la gauche. Nous y avons toute notre place. » D’après elle, dans le « 13 », le collectif Racine qu’elle chapeaute compterait une « quarantaine » de militants. En juin, c’est à Carpentras (84) qu’un prof d’histoire aux allures de sergent-instructeur a été bombardé responsable du collectif Racine. Sa mission, d’après la conférence de presse ? « Sauver l’école. »
Pas facile, pourtant, de se dire frontiste en salle des maîtres ou des profs : « Avant d’être au FN, j’étais au MRC de Chevènement. Sauf que mes collègues le considéraient comme le "Le Pen" de gauche. J’ai donc toujours été prudente. Ce qui ne m’a pas empêchée de connaître l’ostracisme. Au point de devoir changer d’établissement après que mon mari ait dénoncé dans une vidéo qui a circulé sur le net, notamment sur le site "FdeSouche", le spectacle dans une école où il n’y avait pas une chanson en français… »
Ne pas faire de vagues !
Quand Le Pen lui propose d’être à ses côtés aux régionales de 2010, il lui dit : « Je comprendrais, vu vos fonctions, que vous refusiez. » Élue, elle ne peut plus se cacher. Mais continue à jouer les équilibristes. Si le maire FN de Beaucaire (13) s’est fait les crocs sur les élèves « allophones », comme ses collègues de Fréjus (84) et de Camaret (83), fustigeant l’Elco (l’enseignement des langues et cultures d’origine), Laupies, sur les cours d’arabe, se fait byzantine : « Si mon école est en ZEP, c’est en partie parce que bon nombre d’élèves ne maîtrisent pas le français. C’est donc cette langue qu’il faut enseigner. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir mis ma classe à disposition pour les cours d’arabe. Mais, si j’étais maire, je gérerais les écoles autrement. Et ma ville n’accueillerait pas autant de primo-arrivants… »
Soupir d’une syndicaliste : « Elle sait lisser son discours. On peut même être d’accord sur certains constats. Tout en ayant une conception diamétralement opposée de ce que doit être l’école. » Sourire de Laupies : « Récemment, des collègues m’ont fait comprendre qu’ils partageaient ma vision politique… » Reste que, pour l’instant, d’après un sondage, le nombre d’enseignants prêts à voter FN serait passé, depuis 2012, de « 5 » à « 8 % ». Une progression de « 60 % » dont se gargarise le collectif Racine…
Face au FN, les syndicats d’enseignants s’organisent. Comme dans le 13/14 à Marseille avec un « comité de vigilance » : « Certes, une mairie de secteur n’a pas beaucoup de pouvoir, tonne Sébastien Fournier, instituteur (SNUIPP-FSU) à la Busserine. Elle n’a pas la main, par exemple, sur les cantines. Mais on doit être vigilant. Et, s’il est hors de question de pénaliser les enfants, on a tout sauf envie de travailler avec eux. »
Ce qui ne va pas sans anicroches. Comme en mars lors d’un conseil d’école où s’est invité un transfuge de l’UMP au FN supportant mal les critiques. Au point de susciter, par son attitude, non seulement l’émoi mais aussi une manifestation, le dépôt de deux mains courantes et un courrier du rectorat au sénateur-maire FN Stéphane Ravier. « Désormais, note l’instit’, leur credo, c’est de ne pas faire de vagues. Vu le peu de maîtrise des dossiers dont ils font preuve, on les comprendrait presque. » Seule exception : Sandrine D’Angio, une proche de Ravier, en charge de l’école et dont les interventions, notamment sur les rythmes scolaires, ont été remarquées, même par ses adversaires.
De fait, sur l’école, le discours du FN a changé. « En 2002, il était pour le privé catholique, contre la maternelle, les ZEP et pour une révision des programmes d’histoire, analyse le syndicaliste. Aujourd’hui, avec une vision dévoyée de la "laïcité" et en dénonçant le "malentendu" avec le monde de l’éducation, Marine Le Pen prône la défense de "l’école de la République". Mais avec une vision passéiste qui fleure bon l’école à l’ancienne, le rétablissement de l’autorité du maître… »
Comment s’étonner alors de voir une ancienne de la FCPE à Martigues (13) rouler désormais pour le FN à Istres (13). Ou que, chez les Bompard, l’école est, dixit un enseignant, « tout sauf une priorité. Quand Marie-Claude Bompard a été élue à Bollène, elle a supprimé les études, coupé les crédits aux centres sociaux. On n’a qu’une trentaine d’euros par élève. Le parc informatique est soit inexistant, soit obsolète. Même le nombre de photocopies auquel on a droit est limité ! Et, pour la rentrée, on n’aura bientôt plus qu’une Atsem pour deux classes. Tout cela au nom d’une saine gestion budgétaire. » Ce qui n’a pas empêché Marie-Claude Bompard d’organiser une « fête de la Famille », ce « pilier » qu’elle « refuse de voir disparaître ou s’effondrer », dit-elle au « Salon Beige », le blog d’extrême droite géré par l’ex-attaché parlementaire de Jean-Claude Gaudin, ce vieux prof d’histoire-géo qui, lui non plus, n’aime pas beaucoup l’école…
Sébastien Boistel