Le Slow Food à la traîne
En 1986, Mc Do s’apprête à ouvrir son premier fast food dans le centre antique de Rome. Carlo Petrini, critique gastronomique, décide alors de lancer, avec quelques amis amateurs de bonne chère, le mouvement Slow Food. Un quart de siècle plus tard, le mouvement compte 100 000 adhérents à travers le monde, organise chaque année des salons de l’agriculture durable à Turin, est reconnu à l’Unesco et vient de lancer des instituts de formation. L’objectif principal du mouvement a été résumé par Corby Kummer dans Les plaisirs du Slow Food : « Il vise à réduire la fracture, d’un côté, entre les consommateurs fortunés qui recherchaient de bons produits authentiques cultivés par des gens pauvres et qui s’appauvrissaient encore en perpétuant leurs pratiques traditionnelles. De l’autre côté, les petits consommateurs contraints d’acheter des aliments de mauvaise qualité mais peu chers, produits par des industriels immensément puissants. » (1) Son emblème, l’escargot, est repris comme étendard par tous les mouvements se réclamant de la décroissance. Carlo Petrini a même été désigné par le quotidien Britannique The Guardian comme l’une des « 10 personnalités à pouvoir sauvez la planète ». Bref, tout baigne au royaume de « la nourriture lente » qui n’en finit pas de se développer dans le monde entier.
Dans le monde entier ? Non, car notre région peuplée d’irréductibles amateurs de Mc Do, Quick et Burger King résiste à l’envahisseur venu d’Italie (2). Après 10 ans d’existence, le mouvement Slow Food serait même en train de mourir de sa belle mort, selon Lucien Bioletto, responsable de l’antenne Marseille-Aix-Toulon. « Au départ, il s’agissait de défendre le goût des aliments et la nécessité, pour en préserver la saveur, de protéger les producteurs locaux, explique-t-il. Qui peut être contre en France ? Du coup, il y a 10 ans, nous pouvions compter sur une centaine d’adhérents à chaque rassemblement. On sortait de la crise de la vache folle, les gens étaient très remontés contre l’industrie agroalimentaire. Le Slow Food était très mobilisateur. »
« Le mouvement est resté une affaire de spécialistes »
Agnès Henri
Le mouvement appuie alors la création de la première Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) à Aubagne (13). « Les Amaps ont été une réponse très pragmatique pour les paysans et les consommateurs sur la question de la qualité des produits et de la proximité, poursuit Lucien Bioletto. Mais, de fait, le mouvement Slow Food n’avait plus vraiment de pertinence. Aussi, des objectifs se sont empilés les uns sur les autres, ce qui a fini par fatiguer les adhérents. »
Alors que les Amaps connaissent en Paca une croissance intensive, le mouvement Slow Food se retrouve happé par des fines bouches. « Le mouvement n’a pas su faire la jonction entre des préoccupations de gastronomes, tout à fait légitimes, et la défense d’une cuisine populaire, affirme Agnès Henri, du domaine de la Tour de Bon à Bandol (83) et adhérente au mouvement. Contrairement à l’Italie et à d’autres pays, en France, le Slow Food est resté une affaire de spécialistes, la plupart du temps enfermés dans leur cuisine. Et quand ils ne sont pas dans leur cuisine, ils se réunissent dans les « conviviums » (3), qui est le nom latin donné aux groupes locaux. Avec un nom pareil, comment voulez-vous attirer du monde ? C’est regrettable car certaines idées étaient vraiment pertinentes… »
A l’image des « sentinelles Slow Food » créées pour sauvegarder et relancer des produits de terroir menacés de disparition. La brousse du Rove a ainsi été labellisée en 2008. « A l’époque, nous avions découvert que de la brousse vendue en supermarché était en fait réalisée avec du lait de vache et non de chèvre, se souvient Luc Falcot, berger. Pour protéger nos troupeaux et nos productions, nous avons commencé à travailler sur la création d’une AOC pour nous protéger des contrefaçons. En même temps, nous avons demandé au mouvement Slow Food de reconnaître le fromage de chèvre du Rove comme un produit de terroir en danger. Du coup, par le réseau, André Gouiran, le dernier berger du Rove, a pu devenir fournisseur du Petit Nice de Gérald Passédat. Etre ainsi référencé par un restaurant 3 étoiles nous a permis de passer un cap dans la reconnaissance et la défense de notre fromage. » Pour autant, le concept de sentinelle résonne de façon trop creuse aux oreilles du berger : « C’est en fabriquant et en vendant chaque jour mon fromage sur les marchés que j’influence de façon positive les gens à manger différemment. Franchement, le label Slow Food ne me sert absolument à rien. »
Malbouffe : une riposte paysanne ? En mai, le Ravi enquête sur l’agriculture en Paca. Les paysans sont-ils nos alliés face aux dérives de l’agro-industrie ? Pour recevoir ce numéro (et les suivants !) chez vous, abonnez-vous ! C’est par ici…