Le shit comme arme de répression en Tunisie
C’est l’ONG Human rights watch (HRW) qui le dit, dans un rapport publié en février 2016 (1) : un tiers des détenus condamnés en Tunisie ont été arrêtés en lien avec des affaires de stupéfiants, majoritairement du cannabis. Car y fumer un pétard, cinq ans après la Révolution, est toujours très sévèrement puni. Mis en place par l’ex-dictateur Zine El-Albidine Ben Ali en 1992, la « loi 52 » punit les fumeurs de « zatla », haschich en arabe, à un an de prison et sept pour les revendeurs. Afin de rédiger son rapport, la directrice du bureau tunisien de HRW a interrogé une quarantaine de gardés à vue à ces motifs. Les profils des condamnés sont souvent les mêmes : « des jeunes entre 18 et 30 ans issus de milieux défavorisés et en difficulté d’insertion professionnelle. Ils vivent dans des quartiers populaires où la police est présente pour contrôler les velléités des jeunes. C’est un outil commode pour mettre des gens en prison. »
Un beau prétexte pour contrôler cette jeunesse contestataire, qu’ils soient blogueurs, artistes etc. Les exemples de cette répression possible grâce à loi 52 sont légion. Comme en 2014, lorsque un blogueur et défenseur des droits de l’Homme, Aziz Amami, et le photographe Sabri Ben Moukla, sont arrêtés pour des allégations de possession de cannabis. Ou quand, au cours d’une perquisition de terroristes présumés, on embarque les suspects pour une boulette de shit. Un autre artiste de 27 ans a fait les frais de cette loi 52. En mars 2015, lors du Forum social mondial de Tunis, Ggaith Nafeti est arrêté avec un ami à bord d’une voiture non loin de l’avenue Bourguiba. « Il avait l’équivalent de deux pièces de monnaie de cannabis, pour sa consommation. L’autre beaucoup plus, mais il a accusé Ghaith de le lui avoir mis dans la poche », explique Ayoub Ghedamsi, son avocat, membre de la Ligue des droits de l’homme tunisienne.
« Ghaith est un comédien talentueux, il a reçu en 2007 le prix du meilleur acteur amateur du monde dans une sélection en Corée du Sud, confie Mehdi, un ami musicien. Engagé, il faisait le clown gratuitement dans la rue, animait des projets sociaux et culturels. C’est quelqu’un de remarquable et remarqué. » Condamné pour trafic de drogue en première instance à sept ans de prison, il croupit aujourd’hui dans la prison surpeuplée de Mornaguia, « où l’on dort à 3 dans le même lit », selon Ayoub Ghdemasi. Un procès en appel se tiendra le 28 juin à Tunis. « Nous demanderons sa libération et plaiderons non coupable pour trafic de stupéfiants, poursuit l’avocat. Il est clairement victime de son engagement ». Une pétition « Gaith Nafeti n’est pas un criminel » vise à lancer un mouvement de mobilisation (2).
« Le drame de cette loi c’est la double peine qu’elle engendre : le séjour en prison se passe souvent très mal, au milieu des vrais criminels ou d’extrémistes religieux, constate Amna Guellali. Ces jeunes sont déjà stigmatisés de par leur origine sociale. A leur sortie, c’est encore plus difficile car la consommation de cannabis est très mal perçue. » La réforme de cette loi liberticide a été promise à plusieurs reprises, notamment lors de la campagne électorale en 2014, mais rien de concret n’a abouti : « uniquement des paroles et des promesses politiques, pour l’avocat. La liberté d’expression est toujours entravée en Tunisie. » Le symbole du long chemin à parcourir pour ce pays du Maghreb, foyer du printemps arabe. « Nos premières revendications, c’était la fin de l’Etat policier, la police politique, rappelle l’ami, Mehdi. Vous pouvez prendre un taxi, c’est en fait un policier en civil. Il arrive qu’avec la loi 52 des gens disparaissent comme ça, puis réapparaissent au bout d’un an… On a l’impression que l’ancienne génération, qui s’est fait voler sa jeunesse, veut nous voler la nôtre. Parce qu’ils savent qu’un jour, on va les niquer. »
Clément Chassot
1. All this for a joint : Tunisia’s repressive drug law and a roadmap for its reform
2. www.change.org/p/tunisie-ghaith-nafeti-n-est-pas-un-criminel
Cet article a été publié dans le Ravi n°141 en juin 2016
« Il ne faut pas s’arrêter »
Au bout de 9 mois d’incarcération, Ghaith Nefati a pu faire sortir un poème de sa geôle, traduit ici de l’arabe.