Le rouge brun fait un carton !
Une « quenelle viticole » : avec son Beaujolais et « Sanguisterrae », sa succursale de vente de vin en ligne, Alain Soral, l’alter-ego de Dieudo, a le sens des affaires et du symbole. Au FN, on n’est pas en reste avec la cuvée « Front National » et son étiquette avec la trogne de Marine. Une piquette qui fait mal à la tête ? Patrick Suisse, adjoint aux finances au Pontet (84), assure que non : « C’est un viticulteur proche de nous qui l’a préparé. » La cave Jamet, à Courthezon (84), dont le produit-phare s’appelle… « Le sang de la terre » ! (1) Et, à la veille de la fête des BBR au Pontet, d’expliquer : « Il y a 6 fédérations mobilisées, chacune faisant la promotion des produits locaux. » (2)
D’où ces soirées « alliant business et émotions musicales et culinaires » que promeut un « passionné de vin et de champagne », le frontiste Tanguy Vernay, patron du collectif « Nouvelle Ecologie » dans le Vaucluse (3). Et bien sûr, ce communiqué vengeur de Marion Maréchal (nous voilà) – Le Pen, s’insurgeant que le vin du Tour du France, la cuvée « Bicicleta », soit « chilien » ! De quoi susciter une motion ad hoc à Camaret-sur-Aigues (84), la ville de Philippe de Beauregard (FN), un proche du maire d’Orange qui, lui, s’est distingué avec son « livre blanc sur la viticulture ».
Soupir d’un caviste : « Avant, la droite classique parvenait à ramener vers elle les vignerons. Maintenant qu’elle est laminée, ils peuvent sans complexe voter et même s’afficher FN. Il a d’ailleurs tout un discours autour du vin pour promouvoir le terroir, les racines, l’identité. » Pas étonnant dans une région très « identitaire », groupuscule à l’origine des fameux « apéros saucisson pinard », où les liens entre vin et politique sont palpables.
« A Gigondas (84), le maire, c’est un vigneron. A Chateauneuf-du-Pape (84), un fils de vigneron. Et moi, si j’ai été suppléant de Thierry Mariani, c’est aussi parce que je lui permettais d’avoir les clés d’un monde qu’il ne connaissait pas », explique l’ancien député-maire (UMP) de Camaret, Paul Durieu, lui-même… vigneron.
S’il juge « maladroit de faire la promo d’un vin chilien au pied du Ventoux », pour lui, « les viticulteurs qui votent FN se plantent. Sinon, comment expliquer que c’est une main d’œuvre d’origine maghrébine qui récolte notre raisin ? Et que c’est grâce à l’euro qu’on vend aussi bien à l’étranger ? » C’est cette « porosité » entre vin et extrême droite qui lui aurait fait prendre sa retraite. Tout en ajoutant : « Ceux qui font des cuvées "Marine" faisaient des cuvées "Mitterrand". Ce ne sont pas des gens de convictions. Mais c’est un monde que la gauche ignore. »
Pourtant, pour Philippe Batoux, ancien maire PS de Mérindol (84), « même si nous sommes ici particulièrement touchés par la peste brune, même si le prisme médiatique se focalise sur le FN et son discours prémâché sur le vin, il y a des gens de gauche qui s’intéressent au vin, qui le défendent et même qui en font ». Il y a d’ailleurs une « dimension clairement politique » derrière le Funiculaire à Marseille, un « bar à vin qui est aussi un lieu de culture et de débat » dans lequel lui et ses filles (notamment Marie, chef de file du PG marseillais) sont particulièrement investis (4).
De fait, « les coopératives sont nées dans le midi », rappelle Michaël Latz, vigneron et maire (PS) de Correns (83). Mais celui qui, venant pourtant du « phytosanitaire », a réussi en 2001 à faire de sa commune varoise « le premier village bio de France » n’en est pas moins amer : « Même dans le vin, on a perdu nos racines, en oubliant la solidarité derrière l’idée coopérative et en acceptant, au nom du progrès, d’empoisonner les gens. Quant à la gauche, depuis 4 ans, sur le bio ou l’écologie, elle est juste dans l’incantation. Alors, s’il reste des régions viticoles plutôt ancrées à gauche, s’il y a une association des élus viticoles qui mêle des gens de tous bords, ici, le monde du vin, entre crainte de l’emprise du foncier et peur du lendemain, entre protectionnisme et ultra-libéralisme, il est à droite. Voire à l’extrême droite. »
Ce qui n’empêche pas les « Déconnomistes », le « off » irrévérencieux des très libérales et officielles rencontres du Cercle des économistes à Aix, de sortir chaque année une « cuvée des Déconnos » : « On est des adeptes d’un militantisme joyeux et le vin y contribue », sourit le « patron », Dany Bruet. Qui, jusqu’à peu, bossait dans le vin. En politique comme dans le vin, avoir des relations a toujours eu du bon. Mais attention aux mélanges !
Sébastien Boistel
1. Ni le vigneron ni le FN n’ont répondu à nos demandes d’entretiens.
2. Lors de la fête des BBR, à laquelle le Ravi était « persona non grata », le FN s’est aussi illustré en vendant des produits dérivés du Conseil régional !
3. La branche « écolo » du FN (cf le Ravi n°128, avril 2015)
4. le Ravi y organise le 10 septembre un débat à l’occasion de la sortie de ce numéro
5. Cf le Ravi n°98 (été 2012) et n°109 (été 2013)
Enquête publiée dans le Ravi n°143, daté septembre 2016