le Ravi redresse le bilan (du mal-logement)
Ils sont venus, ils sont tous là. Même le Ravi est monté à la capitale pour assister, début février à Paris, à la présentation du 20ème rapport sur le mal-logement de la fondation Abbé Pierre (Fap). Sur scène, Audrey Pulvar et dans la salle, un quarteron d’anciens ministres du Logement – Louis Besson, Gilles de Robien, Benoist Apparu, Cécile Duflot… – derrière l’actuelle locataire de ce bail précaire, Sylvia Pinel.
« Oh, Pinel ! », a-t-on envie de lui dire face au témoignage d’Anne-Marie du Cannet (83). Anne-Marie ne vient pas nous raconter comment la maire UMP, Michèle Tabarot, a préféré retirer de la vente un terrain où étaient prévus une douzaine d’éco-pavillons plutôt que de voir l’Etat le préempter pour y construire du logement social (1). Non, Anne-Marie témoigne qu’elle vit dans un studio de 26 m2. Que son bail arrive à échéance début mars, juste à la fin de la trêve hivernale. Qu’elle a trois boulots et qu’elle gagne à peine le Smic. Et qu’au regard du Dalo (le droit au logement opposable), elle n’est pas considérée comme prioritaire… parce qu’elle a encore un toit au-dessus de la tête !
« Oh, Pinel… » Les pistes qu’avance la fondation à la fin de son rapport semblent pouvoir presque figurer au rayon science-fiction tellement elles contrastent avec les orientations suivies depuis 20 ans par la politique du logement : « produire davantage de logements accessibles », « réguler les marchés et modérer les coûts du logement », « prévenir et combattre les facteurs d’exclusion par le logement », ou encore « construire une ville équitable et durable »…
En attendant, comme l’ont rappelé les travailleurs sociaux lors de la cérémonie parisienne et comme ils le répètent sur le terrain, c’est la guerre. Début février, la Fap, la Fnars et l’Uriopss (2) ont manifesté devant la mairie de Marseille pour rappeler à Jean-Claude Gaudin qu’il avait, à la veille des municipales, signé la charte d’accès à l’eau. Un an plus tard, la deuxième ville de France qui gaspille pourtant des centaines de milliers de m3 d’eau potable pour nettoyer ses trottoirs, est toujours un désert en matière de douches, de toilettes et même de fontaines publiques.
Si Patrick Padovani et Xavier Méry, les « frères Misère » du sénateur-maire UMP de Marseille, ont tenté de temporiser, Lisette Narducci (maire du 2ème secteur) et Jean-Noël Guérini, président du Conseil général des Bouches-du-Rhône, eux, en pleine campagne des départementales sous les couleurs de « la Force du 13 », ont clairement choisi leur camp : ils ont défilé aux côtés des riverains et du CIQ (le comité d’intérêt de quartier) pour dire leur opposition à l’ouverture dans le 3ème arrondissement, l’un des quartiers les plus pauvres d’Europe, de bains douches par la Fap…
Et Paca est aussi l’une des régions qui comptent le plus de personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté : sur près de 5 millions d’habitants, pas loin de 800 000 doivent se contenter de moins de mille euros par mois, dont près de 150 000 travailleurs pauvres. Près de la moitié des foyers en Paca ne sont pas imposables et pas loin de 5 % de la population du « 13 » vit avec le RSA. Quant au nombre de chômeurs – près de 450 000 – il a augmenté de plus de 5 %.
Or, alors que les deux tiers de la population pourrait prétendre à un logement social, la région se distingue également par son retard en la matière. Avec à peine plus de 11 % de logements sociaux (avec, bons derniers, le Var et les Alpes-Maritimes), comment s’étonner que, sur les 140 000 demandes (dont près de la moitié dans les Bouches-du-Rhône) et un délai moyen d’attente de 20 mois, à peine plus de 10 % sont satisfaites ? 10 %, c’est également la proportion de ceux qui font valoir leur droit au logement en déposant un dossier Dalo…
D’ailleurs, au regard du dernier bilan relatif à la loi SRU (qui impose 20 % de logement social aux communes de plus de 3500 habitants), sur les 146 communes concernées dans la région, 110 ne remplissent pas leur objectif, une soixantaine faisant partie de celles qui auraient pu voir leur pénalité majorée. Mais, malgré les consignes de fermeté, au-delà de quelques exemples, les autorités préfectorales se montrent, en Paca, plutôt clémentes. Et pendant ce temps, les loyers continuent, sauf rares exceptions, de grimper (atteignant des sommets à Aix-en-Provence, Nice ou Antibes), le taux d’effort des ménages dans le privé avoisine les 30 % et les décisions d’expulsion en 2013 dépassent, dans la région, les 12 000.
« Oh, Pinel ! » Certes, à Paris, devant Alain Juppé, Anne Hidalgo ou encore Pierre Larrouturou, tu t’es faite couteau suisse, promettant le renforcement du Dalo, le respect de la loi SRU ou encore la transformation de 10 000 nuitées en hôtel en 13 000 places d’hébergement. Sans parler d’un plan de prévention des expulsions locatives. Sauf que fin février, la ministre du Logement d’un gouvernement qui a bel et bien renoncé, de fait, à l’encadrement des loyers, a fait un crochet par Avignon, à l’invitation de… Vinci Construction, pour la présentation de son nouveau concept de logement « low cost ». Pinel, avec ses ciseaux, y a coupé le ruban d’une résidence baptisée « A l’abri du vent ». A la veille de la fin de la trêve hivernale, ça ne s’invente pas !
Sébastien Boistel
(avec J.-F. Poupelin à Paris)
1. Le Monde, 09/02/2015.
2. La fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale et l’Union nationale inter-fédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux.