le Ravi expulsé de la crèche !
« Quant au mois de mars, je le dis sans arrière-pensée politique, ça m’étonnerait qu’il passe l’hiver », lâchait Desproges en conclusion de ses « Chroniques de la haine ordinaire ». Desproges n’est plus, l’hiver n’en a plus pour longtemps mais ce mois de mars est un peu particulier. C’est le premier d’une ministre en jeans et en basket, écolo de surcroît, en charge du logement. Elle a, pour l’épauler, une ministre, aussi socialiste que marseillaise, en charge de l’exclusion et du handicap. Or, malgré ce changement radical d’orientation politique, malgré les promesses d’encadrement des loyers et même de réquisition, malgré les demandes d’un « moratoire », le 15 mars, comme d’hab’, c’est la fin de la trêve hivernale. Les expulsions pourront reprendre.
Que l’on soit ou non en hiver, la salle où s’est réfugié le tribunal d’instance de Marseille, à la caserne du Muy, ne désemplit pas : tous les jeudis après-midi se tiennent les audiences consacrées aux expulsions locatives. De leur perchoir, les magistrats appellent expulseurs et expulsés. Et, les audiences ont beau être publiques, l’acoustique est si mauvaise que, dans le public, on n’entend rien. Comme si la justice n’avait pas de compte à rendre. Comme si ce qui se jouait entre bailleur et locataire devait rester confidentiel.
Voilà pourquoi, en partenariat avec la fondation Abbé Pierre pour le logement des personnes défavorisées, le Ravi a décidé de donner la parole à ceux qui, le 16, au matin, regarderont avec appréhension porte et pendule, redoutant l’heure fatidique où huissiers, policiers et déménageurs viendront les mettre, eux, leur famille et leurs cartons, à la rue. C’est la deuxième fois que le mensuel qui ne baisse jamais les bras travaille avec la fondation Abbé Pierre à la réalisation d’un hors-série. La première fois, c’était pour confier la plume à ceux à qui on ne donne jamais la parole en ne les désignant que par trois petites lettres : S.D.F…
« La question du logement est si intime qu’elle est difficilement partageable »
A réitérer l’expérience avec des personnes expulsées ou en passe de l’être, ce qui choque, c’est qu’elles paraissent presque plus isolées et désemparées que les sans-abris. A la boutique Solidarité où nous les avions rencontrées, il y avait, sinon communauté de destins, du moins unité de lieu. Là, à sillonner la région, de Marseille à Nice en passant par Toulon, on se rend compte que la question du logement, quand bien même mobilise-t-elle toute une galaxie d’acteurs, d’associations et d’institutions, est si intime qu’elle est difficilement partageable. En atteste les témoins qui, ont refusé, au dernier moment, de nous parler. Et rares sont ceux qui ont accepté de nous accueillir chez ce qui n’est déjà plus tout-à-fait chez eux.
Reste qu’ils ont été plus accessibles que certains acteurs institutionnels que nous souhaitions interroger. La préfecture n’a accepté de s’exprimer que par écrit. Le conseil général a exigé une relecture. Et le policier qu’un syndicaliste nous avait déniché, il s’est réfugié derrière le très commode : « Faut que j’demande à mon patron si j’ai droit de vous parler… »
Il faut dire qu’il ne va pas chômer ! Le 18ème rapport de la fondation Abbé Pierre sur le mal-logement est toujours aussi préoccupant. Sa déclinaison régionale, prévue en avril, risque de ne pas être plus réjouissante. Avec seulement 11,3 % de logements sociaux et 75 % des ménages pouvant y prétendre, il y a en Paca plus de 128 000 demandes en attente, dont plus de la moitié dans les Bouches-du-Rhône ! En 2012, il y a eu plus de 15 000 assignations pour impayés dans une région qui, bien qu’étant l’une des plus pauvres de l’Hexagone, est la plus chère après l’Île-de-France. Rien que dans les Bouches-du-Rhône, qui concentrent un tiers des procédures, l’octroi du concours de la force publique avoisine les 50 % et l’on n’est pas loin d’un demi-millier d’expulsions par an.
Certes, il existe une myriade d’acteurs et d’associations pour accompagner les familles dans le parcours du combattant qui consiste à éviter, du commandement de payer jusqu’à la demande de concours de la force publique, l’expulsion ou envisager un relogement. Mais, trop souvent, les démarches sont tardives et la dette si importante qu’elle ne pourra jamais être remboursée. Reste que les personnes rencontrées font preuve d’une ténacité étonnante, d’une combativité revigorante, d’une inventivité surprenante et, parfois, d’une ironie mordante. Ce cahier spécial est le récit de leur combat.
Sébastien Boistel & Samantha Rouchard
Cahier spécial « le Ravi expulsé de la crèche », 8 pages supplémentaires dans le n°105 du mensuel daté mars 2013 actuellement chez les marchands de journaux.