le Ravi crèche dans les Balkans
« Dans les années 90 jusqu’au début 2000, il existait des médias indépendants des pouvoirs politiques et anti-nationalistes qui ont joué un rôle important. Notre site internet a été créé en 1998 en solidarité avec ces médias, explique Jean-Arnault Dérens, l’un des fondateurs et le rédacteur en chef du Courrier des Balkans, site francophone qui relaie et traite l’actualité de ces pays. Mais avec la normalisation de la région, il y a eu aussi une normalisation des problématiques liées aux médias. Ils ont cessé de recevoir un soutien international et du coup la presse s’est retrouvée contrôlée par le pouvoir de l’argent, les mafieux et les oligarques. » Et selon ce spécialiste de l’histoire des Balkans, la presse de la région n’a jamais été d’aussi mauvaise qualité.
S’il n’y a pas vraiment de lois restrictives concernant la presse, puisque pour la plupart elles sont calquées sur les standards européens, les pressions et le tabassage en règle des journalistes est chose courante notamment au Monténégro où il y a encore quelques années on n’hésitait pas à faire sauter la voiture ou l’appartement d’un journaliste pour s’en débarrasser. Le quotidien Vijesti et l’hebdomadaire Monitor, deux médias d’opposition qui ont réussi à asseoir leur autonomie financière en s’organisant en groupe de presse, sont toujours les cibles privilégiées de cette violence dans un pays gangréné par la corruption.
Tabassage en règle
En Croatie, en mai dernier, c’est le correspondant de Reporter sans frontières, Zeljko Peratovic, qui a été molesté à son domicile. « Il a subi un énorme traumatisme, explique Alexandra Geneste, en charge de l’Europe et des Balkans chez RSF. Il ne peut toujours pas travailler et se cache parce qu’il a peur. » Les intimidations envers les journalistes sont nombreuses dans ce pays qui a pourtant intégré l’UE en 2013. Début 2015, deux journalistes des quotidiens Slobodna Dalmacija appartenant au plus grand groupe de presse de Croatie, la compagnie de Zagreb Europapress Holding, ont vu deux poupées à leurs effigies brûlées en place publique ! 2015 était aussi une année électorale pour la Croatie qui, à quelques mois du scrutin, a fait le ménage dans ses rédactions, virant à tour de bras les plus dérangeants, et notamment d’anciens journalistes du satirique Feral Tribune fermé en 2008 (lire encadré). Ces derniers mois, avec la crise des réfugiés à la frontière entre la Croatie et la Serbie, ce sont les journalistes étrangers qui ont été la cible des violences policières.
« Dans ce pays, il existe une presse de qualité mais qui s’est beaucoup autocentrée en s’autocensurant », note Jean-Arnault Dérens. Sur le net une presse alternative émerge, comme H-alter.hr qui traite de questions environnementales, mélange de journalisme professionnel et d’engagement social qui se finance grâce aux dons. « En 2015, il y a eu un vrai déclin, sur l’Europe et les Balkans notamment, au niveau du non respect du pluralisme, explique Alexandra Geneste. Le problème c’est qu’il n’existe pas de mécanisme de contrôle dans les institutions européennes. Chaque pays fait donc un peu ce qu’il veut dans son coin. On sent que des processus sont lancés dans certains pays. Mais de là à ce que l’on passe de la théorie à la pratique… »
« En Serbie, la presse a été reprise en main totalement par le premier ministre. C’est pire que sous Milocevic ! », déplore Jean-Arnault Dérens. Depuis deux mois, journalistes et photographes descendent dans la rue pour dénoncer leurs conditions de travail en scandant : « Insultés, mal payés, licenciés ! ». Ces manifestations ont lieu en réaction aux propos sexistes du ministre de la Défense, envers une journaliste de la chaîne de télévision B92 qui lors d’une conférence de presse, s’agenouillant pour ne pas apparaître dans le champ de la caméra, s’était entendue dire : « J’aime les journalistes qui se mettent facilement à genoux. » Ils dénoncent aussi les mises sur écoute et les pressions politiques.
Des médias alternatifs qui s’organisent
Les médias albanais sont tous liés au pouvoir économique ce qui ne permet pas à une presse de qualité de se faire entendre. Par contre, en Slovénie, l’hebdomadaire Mladina, figure parmi les titres les plus influents du pays. Né en 1920, il est le journal de la jeunesse communiste yougoslave et devient le fer de lance de la contestation dans les années 80. « Aujourd’hui c’est un journal de gauche très critique et socialement très ouvert, note Jean-Arnault Dérens. Si la rédaction reste à Lubjana, la propriété a été transférée à des associations d’anciens combattants antifascistes slovènes en Italie, ce qui fait désormais de lui un média étranger ! »
Buka.com et Masina.rs en Bosnie-Herzegovine sont indépendants. Financé par une ONG luxembourgeoise, Masina est très engagé à gauche.Portal Novosti est quant à lui le journal de référence des Serbes de Bosnie. Il y a aussi un renouveau du journalisme d’investigation avec Krik dont la finalité est affichée clairement sur leur site : « montrer que le crime organisé et la corruption imprègnent toutes les sphères de la société. Notre objectif est d’aider les lecteurs à mieux comprendre comment criminalité et corruption affectent leurs vies. »
Ils ont créé un organisme à but non lucratif, avec d’autres journalistes d’investigation, financé par du don. En 2014, suite à la publication d’un enregistrement sur lequel la première ministre de la République serbe de Bosnie avouait avoir acheté des voix pour les élections, leurs locaux furent saccagés et le secret des sources violé. En février 2015, le parlement a voté une loi criminalisant les messages sur les réseaux sociaux pouvant « troubler l’ordre public ». Rien de mieux pour museler la liberté d’expression et empêcher toute critique envers le gouvernement…