Le Ravi crèche dans le béton
« Ma ville accélère… », peut-on lire sur les panneaux à chaque fois qu’à Marseille, les services techniques réalisent cet exploit qui consiste à creuser un trou pour, quelques semaines plus tard, le reboucher avec abnégation. Sauf que, si la ville « accélère », c’est trop souvent sans les habitants. Et pour aller droit dans le mur.
Le collectif inter-quartiers – rassemblant une quinzaine d’associations principalement au nord de la ville – organisait, il y a bientôt un an, un rassemblement devant les locaux de « Marseille Rénovation Urbaine », pour dénoncer les opérations en trompe-l’œil qui font la part belle au béton et la portion congrue à l’humain, à commencer par celle des « quartiers créatifs », dans le cadre de la capitale européenne de la culture.
En réaction, Valérie Boyer, Madame « Rénovation urbaine et politique de la ville » dans l’équipe UMP de Jean-Claude Gaudin, lâchait : « On ne va pas céder au chantage de toutes ces personnes qui n’ont pas envie qu’on vienne dans ces quartiers parce qu’elles se les approprient comme leur territoire. Tout le monde ne peut pas être content non plus de ce que l’on fait et c’est pour ça qu’on discute, c’est pour ça qu’on évolue, c’est pour ça qu’on change. »
Pas de doute : entre habitants et bétonneurs, il y a, au mieux, un hygiaphone. Et au pire, un mur. Infranchissable. C’est ce dont le Ravi s’est rendu compte. Après avoir créché dans la rue au côté des sans-abris qu’épaule la fondation Abbé Pierre, après avoir relaté la galère de ceux qui ne veulent pas finir à la rue, le mensuel qui ne baisse jamais les bras s’intéresse à ces habitants qui ont décidé de reprendre la main sur leur environnement.
En mettant un pot de fleur sur leur trottoir, le nez dans leur quittance de loyer, leur grain de sel dans une opération de rénovation urbaine ou la main à la pâte pour que la « ville de demain » ne se fasse pas sans ou contre eux. Et parfois, en tapant du poing sur la table face à des services techniques peu habitués au dialogue ou à des élus pour qui la sacro-sainte concertation est un simulacre de consultation, ne jurant que par la maxime « quand le BTP va, tout va »…
Si résister à une expulsion, c’est la lutte du pot de terre contre celui de fer, là, c’est David face à Goliath. Un combat âpre, inégal parce que technique, juridique… et donc financier. Un combat de longue haleine et souvent perdu d’avance. D’autant qu’une ministre du logement, en jeans et baskets, écologiste de surcroît, n’a rien trouvé de mieux, pour faire passer la pilule d’un plafonnement à minima des hausses de loyer, que de restreindre drastiquement le droit au recours contre les opérations qui fleurent bon le béton.
Un combat inégal mais, par essence, collectif et dans lequel les habitants, les riverains, ne manquent ni de ressources ni d’appuis. Le hasard a voulu que le Ravi partage les locaux de l’association Arènes qui, depuis maintenant quinze ans, tente de promouvoir la démocratie locale dans les processus d’aménagement du territoire. Alors que le projet n’en était qu’à ses balbutiements, nous avions évoqué un dispositif innovant : l’agence populaire d’urbanisme qui, avec le soutien de la Fondation Abbé Pierre, deviendra l’atelier citoyen d’urbanisme. Le but de cet atelier ? Epauler les habitants en leur fournissant une assistance (juridique, technique, architecturale, urbaine) afin qu’ils puissent, face aux acteurs traditionnels et institutionnels des opérations d’aménagement, de rénovation ou d’entretien, faire entendre leur point de vue et être reconnus comme des interlocuteurs légitimes voire comme force de proposition.
En clair, apprendre à lire un plan, comprendre ce qu’est un PLU (Plan local d’urbanisme), savoir si tel recours sera ou non efficace ou encore recevoir l’appui d’un architecte, d’un paysagiste pour domestiquer autant que faire se peut la jungle de béton dans laquelle nous vivons. Après quelques mois d’existence, l’expérience est on ne peut plus concluante : une dizaine de collectifs en Paca ont reçu l’appui de l’atelier citoyen d’urbanisme. Le 15 novembre, se déroulera à Marseille une rencontre-débat autour de ces premières expériences (1).
En se rendant aux quatre coins de la région, en allant interroger ces habitants qui ont décidé de reprendre la main sur leur environnement mais aussi les architectes, les experts et autres autodidactes qui leur prêtent main forte, le Ravi a voulu une fois de plus donner la parole à ceux qui sont trop souvent dépeints comme des empêcheurs de bétonner en rond. Pour ne pas dire des emmerdeurs… Une nécessité pour un mensuel qui ne manquera pas d’interroger, à l’aune des municipales, sortants et prétendants sur ces dossiers brûlants que sont l’urbanisme et le logement. Et, plus profondément, sur ce qu’ils pensent de ceux qui voudraient tout simplement que soit… « plus belle la ville » !
Sébastien Boistel