le Ravi crèche à Marrakech
Premier jour du forum social mondial à Tunis. Au milieu de l’avenue Bourguiba, les « Champs Élysées » de la capitale, une pancarte : « Libérez le journaliste marocain Hicham Mansouri ». Surpris par la police à son domicile avec une femme divorcée, ce membre de l’Association marocaine pour le journalisme d’investigation (AMJI) vient d’écoper de 10 mois de prison pour « complicité d’adultère ».
De quoi susciter l’ire de Reporters sans frontières (RSF). Mais pas de quoi surprendre Rachid Tarik, de l’AMJI : « La liberté d’expression est en recul au Maroc. Nos activités sont interdites par les autorités. Nous n’avons même pas le droit de nous réunir ! C’est donc sans surprise que le Maroc occupe la 130ème position sur 180 dans le classement mondial de la liberté de la presse de RSF. »
Pas touche à la monarchie
Même son de cloche de Khalid Gueddar, caricaturiste marocain avec lequel le Ravi a débattu à Tunis (Cf le Ravi n°128. Il est l’auteur du dessin qui illustre cette page), condamné à quatre ans de prison avec sursis pour avoir caricaturé un membre de la famille royale, et qui vient d’apprendre son limogeage d’un journal pour lequel il dessinait : « Je n’ai même pas eu d’explication ! Mais ça résume la situation des médias et de la liberté d’expression au Maroc. C’est catastrophique. »
Emblématique : l’expulsion de deux journalistes français venus enquêter sur l’économie marocaine. En cause ? L’absence d’autorisation, un grief soulevé à l’encontre de France 24 qui voulait réaliser un reportage sur « l’humour comme moyen d’expression » au lendemain des événements à Charlie. En réponse, le prix Albert Londres renoncera à la remise des prix 2015 à Tanger. Dernier exemple ? Le procès d’Ahmed Benchemsi, ancien directeur de l’hebdo Tel Quel, poursuivi en diffamation par le secrétaire du roi du Maroc pour un article dans Le Monde intitulé : « La corruption règne en maître au Maroc »…
Comme le résume Mednet, un état des lieux de la société civile et des médias de l’autre côté de la Méditerranée : « La situation des médias indépendants au Maroc est particulière dans la mesure où les acteurs médiatiques œuvrent dans un système politique de monarchie autocratique qui dirige et contrôle à peu près tout. » Il n’y a donc pas, d’après Rachid Tarik, de l’AMJI « de média totalement libre. On peut être critique. Mais il y a des lignes rouges : la monarchie, la religion et la question de l’intégrité territoriale. Ceux qui ont essayé d’aller plus loin dans la critique se sont vus, par exemple, couper la publicité. »
Ou pire. Ali Lmrabet, fondateur de Demain a été dix ans durant interdit d’exercer son métier de journaliste parce qu’il a franchi les fameuses « lignes rouges ». Pour celui qui, en exil, a fait renaître sur la toile son journal, « au Maroc, la liberté d’expression n’existe pas. Et ça a toujours été comme ça. Depuis que je fais de la presse au Maroc, jamais je n’ai passé une semaine tranquille. »
Des « cyber-dissidents » surveillés
Difficile d’appréhender, sinon à l’aune de leurs ennuis pécuniaires ou judiciaires, les médias « pas pareils ». Prenez Le Canard libéré, un satirique marocain qui s’inspire largement de notre palmipède. A cette différence qu’il accepte la pub de « Royal Air Maroc » et les « lignes rouges » : « Je n’ai aucune envie de transgresser ces règles et de prendre des risques inutiles. Un journal vivant vaut mieux qu’un journal mort et le jour où la Constitution changera, on verra », explique son fondateur en 2009 à Jeune Afrique. Symptomatique, il s’est fendu, au lendemain de l’expulsion des journalistes français, d’un édito au titre sans ambiguïté : « Pieds-nickelés à Rabat » !
Pour Ali Lmrabet, « il existe bien un titre ou deux qui essayent tant bien que mal d’exister en faisant leur travail selon des préceptes internationaux et non nationaux. Mais pour le reste, c’est la Pravda Télé et Radio sous les palmiers. » Même le net et les réseaux sociaux semblent des havres plutôt précaires, en attestent les arrestations comme celle du directeur du site lakome.com ou les condamnations de « cyber-dissidents ». Sans parler des attaques « de hackers », crache un journaliste.
Pourtant, dans le sillage des printemps arabes, les autorités auront promis quelques réformes. Notamment une « réforme du code de la presse et de l’édition », qui devrait notamment en finir avec les peines de prison pour les délits de presse. Mais, dixit Rachid Tarik, « on est encore loin des standards internationaux ».
Alors pour ce dernier, s’il y a bien quelques médias alternatifs, il n’en est pas moins dubitatif : « Des jeunes ont lancé des sites d’information locale. Mais ces jeunes journalistes manquent souvent d’expérience car ils ont appris leur métier sur le tas. » Un constat analogue à celui de Bernard Gillet, de Fréquence Mistral, qui prodigue au Maroc formation et conseils : « Il y a une envie forte chez les gens de s’exprimer. Ce qui manque, ce sont les moyens et la formation. Ce qui n’empêche pas de voir fleurir sur le net radios et vidéos. Mais leur audience reste confidentielle… »
Sébastien Boistel