le Ravi, comme Heidi, campe à la Villa Méditerranée
Malgré tous les exemples qui nous viennent en tête (et que l’actualité en particulier politique mais aussi économique, culturelle, sportive, internationale nous fournit), il faut se rendre à l’évidence : l’homme est un être pensant. Mais oubliez Descartes. « Je pense donc je suis », ça ne suffit pas, ça ne suffit plus ! Non seulement il ne suffit pas de penser pour être, mais encore moins d’être pour penser. De tout temps, donc, l’être humain a recherché des configurations particulières pour favoriser la naissance des idées. On peut s’isoler. Discuter. Chercher l’inspiration dans diverses substances, plus ou moins légales. Ou bien s’installer dans des lieux ou des environnements propices à la production intellectuelle.
C’est un peu un mélange de tout cela que propose l’Idea Camp qui doit se tenir de jeudi à samedi à Marseille, sorte de chaînon manquant entre l’Eurovision et le concours Lépine puisque, trois jours durant, une cinquantaine de porteurs d’idées vont cogiter à l’ombre de la Villa Méditerranée. Avec pour favoriser l’émergence des idées, un nom à coucher dehors (mais quoi de mieux pour discuter de la réappropriation de l’espace public ?) et un lieu qui suscite sinon l’interrogation, du moins le débat.
Idea Camp. A l’écrit, ça passerait presque. Mais, dans la bouche d’un Marseillais, pour peu qu’il soit de surcroît enrhumé, et c’est la cata : Hydréa Camp, Heidi campe… Tout y passe. Bon, si on était au Québec, on dirait le « camp à idées » mais, au vu de l’histoire contemporaine et de ses réminiscences électorales, ce serait peut-être un peu limite. Borderline, dira-t-on, in english (puisque la manifestation est internationale). A moins que, grandiloquent, on ne choisisse le « camp » des idées face à ceux qui n’en ont pas. Ou de mauvaises…
Car, si certains, à cause de leurs idées, ont fini dans des camps et, une fois dedans, en ont eu d’autres, est-il vraiment opportun de s’enfermer pour s’ouvrir ? Et c’est là que la Villa Méditerranée intervient. En soi, le bâtiment ne peut qu’inspirer. Comment ça tient ? Pourquoi ça tombe pas ? Avec sa forme de point d’interrogation les pieds dans l’eau et le nez plus ou moins vers l’horizon, le bâtiment sorti de terre en marge de la capitale européenne de la culture ne peut qu’être propice au questionnement. Et donc, à la cogitation. Au débat.
D’ailleurs, l’actualité récente tend à prouver que même les commanditaires de ce « geste architectural », comme on dit, se demandent encore quoi faire de ces murs. Un autre musée à côté d’un musée, lui-même non loin d’un troisième ? Faire de ce qui pourrait n’être qu’un scandale de béton autre chose qu’un mur d’escalade ne peut être que louable. Surtout vu ce que cela coûte…
Pour résumer : le temps d’un week-end, la Villa Méditerranée devient un camp à idées. La belle affaire ? Encore faut-il un thème ! Et là, il y en a un en béton armé : « Espace public et bien commun, comment les habitants participent à définir et à façonner l’espace public ? » ECF, la fondation européenne pour la culture, un organisme indépendant financé par une taxe sur la loterie néerlandaise, a reçu plus de 800 propositions et a retenu 50 candidats, 50 « porteurs d’idées » venant des quatre coins de l’Europe qui vont cogiter à Marseille. Et quel meilleur endroit pour plancher sur un tel sujet ?
Au lendemain de la capitale européenne de la culture et à la veille de l’année où Marseille va être capitale européenne du sport, parallèlement à quelques scrutins qui ont consacré la défaite de la gauche et la victoire de l’extrême droite, dans une ville où on manque de tout, sauf de béton, on ne pouvait rêver mieux pour faire causer, discuter, tchatcher.
Comme nous l’explique Sam Khebizi, le « patron » de l’association marseillaise les Têtes de l’Art, l’un des six co-organisateurs de cet événement : « L’Idea Camp, c’est une nouvelle approche du travail collectif dans le cadre de la réflexion d’ensemble sur le rôle de la culture dans nos démocraties. Plutôt que d’en passer par des appels à projet qui verrouillent le débat puisque chacun doit, dans un certain cadre, répondre à un cahier des charges, présenter un budget, un planning, là, sur une thématique, chacun vient avec une idée, la met au pot commun et accepte qu’elle se transforme. Et que cela se passe à Marseille – et plus particulièrement à la Villa Méditerranée – ne tient en rien au hasard. C’est justement parce que nous avons eu cette expérience que fut l’année européenne de la culture, avec tous ses espoirs, toutes ses déceptions, que Marseille s’est imposée comme le lieu idéal pour cette réflexion… »
D’ailleurs, précise Sam Khebizi, si l’Idea Camp n’est pas ouvert au public, une partie des activités et des réflexions dépasseront le cadre de la Villa Méditerranée, la cinquantaine de porteurs de projet étant appelée à découvrir la cité phocéenne, de Noailles aux quartiers nord, en passant par quelques ballades en mer et autres pérégrinations du côté de la Friche.
Pas étonnant donc que s’investisse dans un tel événement un journal comme le Ravi, et, au-delà, les médias citoyens qui ont désormais, en Paca, leur association éponyme. Participeront à l’Idea Camp Télé 02zone, la Télé du 3ème, Fréquence Mistral… Non seulement pour couvrir la manifestation mais aussi pour débattre samedi matin de leur rôle dans l’espace public. Celui qu’on leur donne, celui qu’ils se donnent comme celui qu’ils pourraient (devraient ?) avoir.
De fait, avec un MediaLab et en étant présent tout au long de ces trois jours, les médias « pas pareils » seront partie prenante de ce dispositif visant à faire émerger quelque idée. Et, là où les médias traditionnels ne consacreraient à cette manifestation, au mieux, que trente secondes en fin de JT ou une banale photo-légende au fin fond d’une rubrique « insolite », la presse pas pareille, les radios associatives et autres télés associatives se mettent au diapason pour porter sinon la contradiction, du moins leur contribution au rôle qu’ils peuvent avoir dans l’espace public et de comment les citoyens peuvent s’en saisir pour s’y investir. On saura rappeler les débats qui traversent la ville sur la place des espaces verts, le peu de place pour l’humain sur les places, l’absence de pistes cyclables, la privatisation des plages, la transformation des villes et du front de mer…
S’y investir, donc, pour les médias citoyens, poil à gratter du débat démocratique comme il ne va plus, est donc on ne peut plus naturel. S’y investir en attendant qu’on investisse dans les idées. Car il semblerait qu’il y ait quelque menue monnaie à la clé, les meilleures idées pouvant être aidées par la fondation. Et, dans les médias citoyens, journaux désargentés, télés du bricolage et radios du rafistolage, qui, malgré tout, pratiquent un journalisme libre et exigeant, faisant dynamique et même « masse » avec des audiences pas si ridicules au regard de celle de la « grande » presse et des « mass media », on sait bien qu’une idée seule ne peut pas tout. Mais qu’avec quelque moyen, elle peut, en attendant de faire le tour du monde, essaimer. « With a little help from my friends », comme le disaient quatre garçons dans le vent. Et ça tombe bien, ce week-end, à l’ombre de la Villa, ça devrait souffler…
Sébastien Boistel
L’œil du Ravi pendant l’Idea Camp, c’est par ici en cliquant sur ce lien…