le Ravi abolit les frontières
C’était avant les attentats. Un soir dans les quartiers nord de Marseille. Le 9 octobre, précisément. Sur une place au milieu de laquelle trône un monument aux morts, plus d’une centaine de personnes se rassemblent pour la « fête de la Fraternité ». A l’origine de cet événement ? Le centre « Saint Gabriel ». Un centre social pas comme les autres. Qui, d’emblée, sur sa façade, annonce la couleur : « Liberté, solidarité, dignité. » Et, des fois que le message ne soit pas assez clair, de rappeler que, dans les années 80, c’était « le centre des Arabes et des gauchistes ».
Un véritable pied de nez dans ces quartiers où le maire de secteur est le frontiste Stéphane Ravier. Celui-là même qui, récemment, s’est illustré sur France 3 avec une des saillies dont il a le secret : « J’t’en foutrais du vivre ensemble… » Sur un stand de la fête, des mômes du quartier préfèrent s’en amuser en délivrant à l’élève « Ravier » un « zéro pointé » dans un vrai-faux bulletin de notes hilarant : « Rien n’a été acquis dans ce domaine depuis ton arrivée il y a un an ! Tu es toujours dans la provocation ! Tu ne respectes pas tes pairs. Tu avoues même que tu ne te sens obligé de rien ! Un comportement inacceptable ! » Et de se prononcer en faveur de son « exclusion définitive ».
Dont acte. Ce soir-là, l’édile ne pointe pas le bout de sa flamme. Régionales obligent, il est à Carry-le-Rouet pour soutenir Marion Maréchal (nous voilà !)-Le Pen. A sa décharge, on peut noter également qu’aucun représentant de Les républicains » n’est présent. Las ! A la même heure, leur poulain, le « motodidacte » niçois Christian Estrosi, se trouve au parc Chanot pour lancer sa campagne.
Dommage, ils auraient pu entendre l’ancien ministre (PS) Jean-Louis Bianco et actuel président de l’Observatoire de la laïcité défendre cette valeur si souvent malmenée. Ou Marie-Christine Vergiat. « Depuis 15 ans, l’Union européenne ferme de plus en plus ses frontières, rappelle la députée européenne (Front de gauche). L’Europe marche sur la tête en tergiversant quant à l’accueil de 40 puis 125 000 réfugiés alors que l’an dernier, il y a eu près de 600 000 demandeurs d’asile et qu’ils seront pas loin d’un million en 2015. Or, ceux qui viennent fuient la guerre. Et plus cette guerre dure, plus les gens sont prêts à aller loin. Et plus l’on fermera les frontières, plus ils seront prêts à tout pour venir ici. Y compris au péril de leur vie. » Et de citer ce chiffre effarant : « En 20 ans, il y aurait eu en Méditerranée près de 25 000 morts ! »
C’était avant les attentats. La photo du corps sans vie du petit Aylan, un minot syrien échoué sur une plage turque, était dans toutes les têtes. A chaud, chacun y va alors de sa déclaration, de sa mesure. Ainsi, la Région débloque « 3 millions d’euros » pour l’accueil des réfugiés, Michel Vauzelle, le président (PS) du Conseil régional assénant : « A un homme qui coule, on ne demande pas ses papiers ! » Sauf que, très vite, certains font savoir sinon leur opposition, du moins leurs conditions : « Oui, mais seulement des chrétiens ! » Et l’on ne parle même pas des saillies d’un Thibault de la Tocnaye, conseiller régional FN et ancien milicien chrétien au Liban, se disant « choqué que ces hommes ne se battent pas dans leur pays contre Daech ». Ajoutant : « En accueillant ces réfugiés, on empêche la résistance… » Sans oublier ces autres frontistes mettant en avant « leurs » SDF. Et c’était avant les attentats…
Dans le même temps, la plate-forme asile de Marseille qui assure depuis dix ans l’accueil et l’accompagnement des demandeurs d’asile tire la sonnette d’alarme : faute de moyens et de personnel suffisant, elle a dû, début octobre, « fermer ses portes » ! Quant au squat « le Manba » (la source, en arabe), en bas de la rue Horace Bertin à Marseille, il n’a pas attendu longtemps avant de voir la justice se prononcer pour que ce qui est devenu le centre névralgique du collectif « Soutien Migrants 13 » redevienne fissa le garage désaffecté qu’il n’aurait jamais dû, de l’avis de la maréchaussée et des quelques militants d’extrême droite du voisinage, cesser d’être.
Pourtant, en témoigne la journée « portes ouvertes » qui s’est déroulée juste avant la décision du tribunal, au Manba, y ont été organisés, spontanément, gratuitement, méthodiquement, des cours de français (et d’arabe), une permanence juridique, un accompagnement et un soutien pour les démarches administratives, des collectes de vêtements, de nourriture. Sans oublier, bien sûr, des solutions d’hébergement de la part d’un collectif qui refuse de faire le tri entre « les bons et les mauvais réfugiés ».
Mais le « Manba » n’a pas dit son dernier mot ! Début novembre, un rassemblement en soutien au collectif a rassemblé plus d’une centaine de personnes sur la Plaine. C’était avant les attentats. Avant que certains ne pointent que, parmi les terroristes, on avait retrouvé un « passeport syrien ». Avant que ne soit voté et prolongé, comme un seul homme, l’état d’urgence. Qui n’aura toutefois pas empêché une salutaire manifestation de solidarité avec les migrants se terminant au pied du centre de rétention du Canet.
C’est donc tout naturellement que l’on a proposé à Gérard Perrier de voir ce hors-série se tricoter depuis le centre social où il est administrateur. Lors d’une « table de quartier » dont l’objet était de préparer la « Fête de la Fraternité », nous avons lancé l’idée d’un atelier de journalisme participatif sur la question des migrants. Parce qu’elle était furieusement d’actualité. Brûlante, même ! Habitants, militants, collégiens, profs, cuistot… ils sont une petite dizaine à avoir participé, de près ou de loin, à l’aventure.
Ensemble, on a décortiqué le parcours des migrants pour mieux saisir les obstacles qu’ils rencontrent et imaginer les solutions qui permettraient de mieux accueillir cet « autre » qui nous ressemble tant. Puis, après s’être « fait la main » lors de la « Fête de la Fraternité », chacun est allé, micro dans la poche, stylo et carnet à la main, réaliser interviews et reportages.
Parait qu’on est « en guerre ». Or, dans une guerre, la première victime, c’est la vérité. Raison de plus pour porter la plume dans la plaie. Et faire la nique aux préjugés. Surtout sur les terres de Stéphane Ravier, ce maire de secteur qui, s’il n’a pas beaucoup de pouvoir, a toutefois celui de nuisance, se félicitant d’avoir fait drastiquement baisser le nombre d’attestations d’accueil. Juste après la tuerie à Charlie, le centre social Saint Gabriel s’était mobilisé. Au lendemain des attentats à Paris, le Ravi ne pouvait pas faire autrement que de prolonger, à sa manière, cette mobilisation.
Sébastien Boistel