Le rapport qui règle son compte à Gaudin
A la Chambre régionale des comptes de Paca, on ne chôme pas. Et pour cause : chargé du contrôle de la gestion des deniers publics, l’organisme rend ses copies avant le début des municipales. Alors que doivent, ce mois-ci, être examinés ceux sur la Région et le Conseil général, en guise de mise en bouche, le Ravi s’est procuré celui sur la ville de Marseille. Ce pavé de 200 pages, avec son pendant sur la société d’économie mixte Marseille Aménagement, fait un bilan peu amène des dernières années Gaudin. Comme entrée en campagne, pour celui qui a commencé à sortir du bois en faisant de la retape auprès des petits commerçants dans une quincaillerie, on a connu mieux…
Interrogé à ce sujet, le sénateur-maire UMP reste droit dans ses bottes : « Ce n’est pas la Chambre régionale des comptes qui doit décider de ce que nous faisons. Même si on nous dit "vous n’avez pas assez fait ceci ou cela", nous avons toujours fait en fonction des lois de la République. Et nous n’avons jamais été inquiétés par un juge en 18 ans de mandat. » Une fin de non-recevoir.
Pourtant, le réquisitoire est sans concession. Dénonçant une gestion comptable peu orthodoxe – la ville doit « 500 000 euros de TVA à l’Etat » – la CRC fait le portrait d’une municipalité où les services publics sont mal gérés et dont l’endettement, non content d’avoisiner les 1,8 milliards d’euros (soit « 2103 euros par habitant », le double de la moyenne des grosses métropoles), va encore s’aggraver. Notamment avec les travaux au stade Vélodrome.
Ballon plutôt que livres
C’est l’un des gros morceaux du rapport. Qui fustige autant un « agrandissement » qui, pour plaire à l’UEFA avec 67 000 places, « excède largement les besoins habituels » (la fréquentation moyenne est de 50 000 spectateurs) que les coûts pharaoniques de fonctionnement (1 milliard d’euros) au regard des recettes attendues (500 millions). Sans parler du choix d’un « PPP » (« Partenariat privé public ») qui verra la ville verser, pendant 35 ans, un loyer annuel de 12 millions d’euros. Généreux, Jean-Claude Gaudin l’est aussi avec l’OM. Pourtant, en 2008, Marseille reconnaissait que « le stade n’est sans doute pas mis à sa disposition à son coût réel ». Or, depuis, la situation s’est aggravée puisque la redevance de l’OM à la ville est passée de 50 000 euros par match à 50 000 par an !
Ici, on préfère le ballon aux livres. D’après la CRC, « pour approcher une couverture comparable par habitant à celle de Paris, Lyon ou Lille, Marseille aurait en effet à tripler le nombre de ses bibliothèques ». Des établissements dont « le volume annuel d’ouverture est plus faible que dans les autres grandes villes », les Marseillais ayant à subir « un mois complet de fermeture en plus » que les Parisiens ou les Lyonnais.
Au lendemain de plusieurs affaires de crèches clandestines, la CRC s’est aussi penchée sur la petite enfance. Confirmant le peu de visibilité qu’a la ville en ce domaine (notamment du côté de l’accueil individuel), la Chambre a décidé de mettre les points sur les « i ». Si la municipalité clame sur le net avoir « créé 1583 places de crèche entre 2007 et 2011 », c’est essentiellement grâce au secteur associatif (1089), la ville n’en ayant créé que « 65 ». Pas de quoi corriger ni le manque ni les disparités territoriales. Et encore moins une gestion des places pour le moins opaque : « Les parents ne sont pas tenus informés de la tenue et des dates [des] réunions d’affectation. La composition des réunions n’est ni connue, ni formalisée, ni publique. » Pire : « Il existe une procédure interne non écrite en cas d’intervention d’élus de secteurs. »
Clientélisme et personnel
Du clientélisme qui vaut aussi pour la gestion du personnel de la ville. Comment expliquer, sinon, « alors que la durée légale annuelle de travail est pour les agents de la fonction publique de 1607 heures », que Marseille « applique une durée de 1567 heures » ? Et la ville de rétorquer, à la veille de la venue du patron de FO (le syndicat ultra majoritaire chez les « territoriaux ») dans la cité phocéenne, qu’elle ne bougera pas « en raison notamment des problèmes sociaux que provoquerait la mise en œuvre des dispositions légales ». Au-delà de la « mise à disposition irrégulière d’agents municipaux » (notamment au « Conseil mondial de l’eau ») ou du « maintien en fonction irrégulier » d’agents « au-delà de la limite d’âge légale », la CRC s’inquiète du nombre de vacataires, notamment les « 1750 » dans les mairies de secteur sur lesquels la ville n’a « aucun contrôle ». Car, avec des centaines de vacataires affichant une ancienneté allant de 5 à 30 ans, la requalification « pourrait concerner entre 25 et 35 % » d’entre eux ! Une « bombe à retardement », pour Pierre Godard, du SDU 13 : « La ville n’a régularisé que 340 vacataires. Or 700, au minimum, auraient pu l’être. Vous croyez que ceux qui ne l’ont pas été vont rester les bras croisés ? »
Avec cette saillie de la CRC, la gauche se frotte les mains. Même si certains font la moue face à un document « technique dont l’intérêt est parfois difficile à traduire ». Même si la plupart assure « ne rien apprendre. Cela ne fait que confirmer ce qu’on dénonce depuis des années ». Comme Michèle Poncet-Ramade, qui, au début de l’été, s’était fendue d’un bilan thématique de la gestion Gaudin. D’après la patronne des écolos au conseil municipal, « pour Gaudin, c’est un très mauvais coup car ce rapport, c’est son électorat qui va le lire. Un électorat à qui on ne peut plus faire le coup de la ville pauvre et qui voit ses impôts grimper avec des chantiers comme le Vélodrome. Un électorat avec lequel le clientélisme, ça ne marche plus parce qu’au final, c’est un système qui ne produit que de l’insatisfaction et du ressentiment. »
Dénonçant un Gaudin qui « ne comprend rien au foot », Patrick Mennucci, le député-maire PS du 1-7, candidat à la primaire socialiste, n’aura pas tardé à dégainer, notamment en réitérant sa proposition de « vente du stade Vélodrome ». Une galéjade ? Pas sûr que Jean-Claude Gaudin, qui a proposé à ses collègues de l’UMP rêvant de faire un carton sur le gouvernement de fournir les « Kalachnikov », apprécie. Peut-être a-t-il désormais aussi la CRC dans le viseur ? De son côté, le patron de l’UMP dans les Bouches-du-Rhône, Bruno Gilles, refuse de commenter le rapport : « C’est à la ville de la faire. » Une manière de refiler la patate chaude pour un début de campagne qui ne le sera pas moins.
Sébastien Boistel