Le procès de l’Europe en prison
Au milieu du rond-point, un homme assis la tête dans ses mains. Un gilet jaune ? Non, une statue. Bienvenue à la prison d’Aix-Luynes (13). Voilà le Ravi qui y a consacré sa grosse enquête convoqué, à la veille des européennes, comme témoin dans un procès en forme de pièce de théâtre intitulée « L’Europe à la barre » !
Pour rentrer ? « Sonnez et glissez votre pièce d’identité dans la trappe. » Dont acte. En prison, pas question de s’encombrer : un carnet, un crayon, pas de portable. Si l’on passe sans encombre le détecteur de métaux, ce n’est pas le cas de l’autre témoin, le président de la Maison de l’Europe, Alain-Pierre Merger.
Un long couloir, de lourdes portes, un escalier et, au sommet, le « quartier socio-éducatif ». Dans un coin, une affiche pour le « dialogue inter-religieux ». Le thème ? « Le bonheur ». Les salles ont pour nom Cézanne, Prévert, Agatha Christie, Orwell… La peinture vive ne fait pas oublier les barbelés de la cour de promenade. Ou que, pour les WC, il faut demander au surveillant… la poignée !
Au détour d’un couloir, un isoloir : pour les détenus, le scrutin européen, c’était la veille. Mais le procès de l’Europe, c’est tous les jours. Patron des Têtes de l’Art, Sam Khébizi, l’auteur de la pièce, qui va jouer l’avocat, nous briefe. Si l’Europe est à la barre, nous, on va être soumis à la question. Dernier coup d’œil au Ravi avant de devoir le partager entre la défense et l’accusation.
Aux détenus d’entrer en scène. Ils vont jouer… les jurés ! Le greffier les cueille en musique, le président plus fraîchement : « On ne vous a pas appris comment se tenir dans un tribunal ? Quand le président arrive, on se lève ! » Et l’assistance de pouffer en le voyant scander façon rap l’acte d’accusation de l’Europe, « 62 ans, née de parents franco-allemands, ayant 28 pays à charge dont un handicapé ».
Pendant que l’avocat et la proc’ se déchirent, le greffier vient nous chercher. Mon complice se fait cuisiner sur la crise migratoire et écologique. A mon tour. Privé de mon journal et de mon carnet de notes, je dois expliquer comment l’Europe se traduit « près de chez nous ». Comme on est en prison, je rappelle que la France se fait régulièrement tacler par la Cour européenne des droits de l’homme alors que les conditions de détention sont censées être régies par les « règles pénitentiaires européennes ».
Le procès se conclut par un « flash spécial » annonçant « du fait de la poussée des nationalismes, la fin de l’espace Schengen et donc de la construction européenne ». Et comme à la télé, avocat et procureure parlent en même temps : « A vous de décider du sort de l’Europe. » Applaudissements.
La représentation se transforme en débat. Ça parle de la Grèce mais aussi théâtre et, au 1er rang, un détenu est très prolixe. Pour cause : il a créé un « parti » et s’il a pris 15 mois, « c’est pour m’empêcher de me présenter ». Il est l’heure pour les détenus de retourner en cellule. Et pour la troupe de remballer. Perdus dans les couloirs, on tombe sur un gardien : « On a déjà dû vous la faire, mais c’est par où la sortie ? »