Le proc Marchal joue au shérif de l’ordre moral
Le procureur Marchal aurait-il dégainé trop vite ? Mercredi 27 janvier, au TGI d’Avignon, ce quinqua à la moustache grise et la mèche folle est loin d’être détonant : ses questions sont hésitantes, sa plaidoirie alambiquée. Tout le contraire de Bernard Mezzadri, qu’il a fait citer à comparaitre pour « délit de provocation à la discrimination en raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion ou la haine raciale par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique ». Fluet, barbe poivre et sel, cheveux plaqués en arrière, l’enseignant-chercheur de l’université d’Avignon (UAPV), spécialisé en langues et civilisations anciennes, confirme d’une voix sûre « l’ironie », dans « l’esprit Charlie », des propos qui l’ont conduit devant la cour.
Son crime ? Avoir utilisé sur une liste de diffusion interne de l’université d’Avignon (UAPV) le célèbre « blancos » de Manuel Valls. En mai dernier, histoire de « doucher l’enthousiasme » du président de l’UAPV Emmanuel Ethis (1), depuis promu recteur de l’académie de Nice, qui annonçait par mail la signature prochaine du contrat de plan Etat-Région en présence du premier ministre, l’enseignant-chercheur, militant antiraciste et opposant notoire à la loi sur l’autonomie des universités, s’énerve : « J’espère qu’en cette grande occasion, la délégation de l’UAPV comptera suffisamment de "blancos" (et pas trop de basanés), afin de ne pas donner une trop mauvaise image de notre établissement. » Et de rappeler les propos de 2013 de Valls sur les Roms et sa décision de quitter en 1985 une LDH opposée à l’extradition des militants basques en Espagne. Un coup de gueule qui n’a suscité ni réponse, ni commentaire sur la liste de diffusion. Mais un « signalement » au parquet de la part d’Emmanuel Ethis, pour qui « les faits [portent] atteinte au premier ministre » et relèvent de l’outrage ou de la diffamation.
Artillerie lourdingue
S’appuyant sur la mobilisation du gouvernement contre le racisme et l’antisémitisme post-attentats de janvier 2015, Bernard Marchal a préféré traquer Bernard Mezzadri sur une autre piste : « le racisme ordinaire ». « Jusqu’où la liberté d’expression peut s’avancer sans qu’elle ne tombe sous le coup de la loi ? », interroge le procureur de la République. Et d’accuser l’enseignant-chercheur de « poser en débat la distinction de race, la couleur de peau, dans les valeurs d’un établissement universitaire ». Conclusion, la grosse artillerie aux poings : « Si ces propos étaient tenus par des gens qui n’ont pas les mêmes idées que vous, est-ce que l’on parlerait d’ironie ? » Curieusement, le proc ne réclame pourtant que « 2000 euros d’amende avec sursis »…
Appelée à la rescousse, la cavalerie n’aura été d’aucun secours au Marchal. Après avoir juré la main sur le cœur qu’elle n’interviendrait pas dans l’affaire, la nouvelle direction de l’UAPV s’est en effet portée partie civile le jour de l’audience ! Parce qu’elle « souffre d’une multitude d’attaques » et parce « qu’on ne peut pas dire tout et n’importe quoi », plaide pour l’université l’ancien bâtonnier d’Avignon Patrick Gontard, proche du PS local, accusant Bernard Mezzadri d’être un « provocateur de salon » et de faire du « lepénisme universitaire » ! On cherche là encore les arguments de droit…
Egalement sollicité comme victime, le Mrap a de son côté vigoureusement décliné, préférant se solidariser avec Bernard Mezzadri. Comme les nombreux soutiens de Bernard Mazzedri (2), dont plusieurs dizaines sont présents au tribunal, le Mouvement contre le racisme et l’antisémitisme juge l’enseignant-chercheur « victime d’une atteinte à la liberté d’expression ». « On est dans la répression, il faut faire taire les fortes têtes afin de calmer ceux qui ne restent pas dans le rang », dénonce également devant le TGI Roch Cassanas, prof de maths à l’UAPV encarté au PG.
Arroseur arrosé
« Ce que dit Bernard Mezzadri, c’est aussi "attention", acquiesce dans sa plaidoirie maître Henri Barun, avocat de l’enseignant chercheur. En France existe le droit au blasphème, mais ce procès nous dit que si on critique un président, un premier ministre, on nous poursuit. » Camper© aux pieds et un visage rond barré d’un sourire « ravi », ce spécialiste du droit des étrangers a d’abord plaidé la nullité – il réclame d’ailleurs 5000 euros à l’UAPV pour procédure abusive ! – avant d’ironiser : « Je voudrais dire combien je suis heureux de rencontrer un procureur sensible aux problèmes de racisme et d’antisémitisme [et qui] dit que "blancos", "basanés", sont des propos racistes ! Mais ces propos sont ceux de Manuel Valls, [qui] lui n’a pas été poursuivi ! »
S’enfonçant un peu plus dans son siège à chaque saillie de l’avocat, en cette fin d’audience Bernard Marchal semble se raccrocher à sa dernière carte : la présidente Nesme qui a renvoyé le délibéré au 10 février. Réputée « rude », elle a expédié en préventive quatre jeunes suspectés de trafic de cannabis juste avant de s’intéresser à Bernard Mezzadri. Deux avaient des casiers totalement vierges…
Jean-François Poupelin
1. Il n’a pas répondu aux sollicitations du Ravi.
2. Une pétition en ligne rassemble plus de 9000 signatures (communauté universitaire, syndicats…).