Le PLU aux œufs d’or
L’histoire se déroule à Villelaure, commune vauclusienne de 3 500 habitants près de Pertuis. Sous la précédente mandature municipale, le maire Jean-Claude Dorgal souhaite faire adopter un plan local d’urbanisme (PLU). Il est voté, après enquête publique, le 2 août 2011 en présence des adjoints à l’urbanisme, Roland Willet, aux travaux, Gérard Sacco et de la conseillère municipale propriétaire du camping l’Air du temps, Cécile Reynier. C’est que tout ce petit monde y a intérêt.
Gérard Sacco d’abord (1). Sa femme, Françoise, est propriétaire d’environ 13 000 m2 dans la zone dite de l’Enclos. Grâce à ce PLU, ces terrains agricoles – qui ne valent presque rien au mètre carré – prennent 100 fois leur valeur. Elle souhaite en vendre 8 000 m2 et garder le reste pour des lots à bâtir. Du jour au lendemain, ce patrimoine, selon les prix du marché, passe potentiellement d’une grosse dizaine de milliers d’euros à plus de 15 millions d’euros. Belle affaire. Bien entendu, les terrains mitoyens restent eux agricoles. Plus cocasse, les 8 000 m2 à la vente sont réservés à Dominique Palombo, alors concubine de Roland Willet (1). Propriétaire d’un Ehpad (une maison de retraite, Ndlr) à Pertuis, elle souhaite le transférer ici.
Des millions à la clé
En prévision de l’arrivée de cet Ehpad de 80 lits, le maire fait réaliser des travaux – avant même l’enquête publique ! – de raccordement de réseaux et de terrassement à hauteur de 758 588 euros, soit près d’un tiers du budget municipal ! Officiellement, sur le chemin des Curates, une voie municipale. Mais comme le montrent les devis des entreprises concernées, une partie non négligeable de ces travaux sont faits sur un chemin dit de l’Enclos, qui n’existe pas légalement. La commune a donc payé pour des privés, en l’occurrence les élus…
Face à la fronde de certains habitants, le maire, pour financer ces travaux, met en place une participation pour voirie et réseaux (PVR)… qui exempte la propriétaire des terrains mais pas ses voisins ! Cette PVR sera d’ailleurs jugée illégale par le tribunal administratif de Nîmes en mars 2014. Un choix en tout cas assumé dans un texte publié dans un bulletin municipal de 2012 et signé Jean-Louis Robert. Ce conseiller municipal, qui travaille dans la commission urbanisme, n’est autre que… le maire actuel, élu en 2014. Reste que la première pierre de cet Ehpad a été posée en 2012. Depuis, plus rien.
Interrogé en mairie, Jean-Louis Robert assure ne rien avoir à cacher et attend « que la justice fasse son travail ». De nombreuses procédures judiciaires, annulant en partie le PLU, sont en effet en cours. Il affirme avoir été trop tardivement au courant des potentiels conflits d’intérêts : « Je suis parfaitement intègre et engagé, je ne savais pas à l’époque », soutient-il. Les permis de construire accordés sur la zone de l’Enclos, pourtant annulés par la cour administrative d’appel de Marseille en février 2016, ont tous été renouvelés à l’identique plus tard dans l’année.
« Ce PLU est opposable. On m’a fait une demande de permis. Si je ne les avais pas réaccordés, c’est moi qu’on risquait de poursuivre », tente de se justifier le maire. Tout en avouant en fin d’entretien que son prédécesseur « n’a pas toujours respecté la loi, que de grosses erreurs ont été faites. Mais je me suis battu pour cette maison de retraite, pour ce qu’elle peut apporter à Villelaure. Je continue donc à y travailler. Maintenant si la justice en décide autrement, je n’aurai pas d’états d’âme. » Il aurait pu, devant de tels soupçons, décider d’abroger carrément le PLU… L’association Anticor a déposé une plainte en juin dernier auprès du procureur d’Avignon pour « prise illégale d’intérêts, détournements de fonds publics, faux en écriture publique et concussion ».
Un camping légalisé
Autre tour de passe-passe : transformer une zone agricole correspondant à la propriété d’une conseillère municipale, Cécile Reynier, en zone touristique. La manœuvre permet d’officialiser l’existence de son camping. En avril 2013, le maire en autorise l’extension avant même de permettre son ouverture, en octobre… Pourtant il devrait ne pas exister : aucune voie publique ne mène aujourd’hui au camping et il ne dispose pas d’un réseau d’eau potable. Jointe par téléphone, Cécile Reynier assure lapidairement n’avoir « bénéficié de rien du tout ».
L’ancien maire Jean-Claude Dorgal explique, par téléphone lui aussi, « que ce PLU n’a profité à personne » mais permettait « le développement économique du village ». « Il y a toujours des gens qui mettent des bâtons dans les roues sur ce genre de projets », explique-t-il, avant de raccrocher au nez du Ravi. Michel Simos est lui simple conseiller municipal depuis 2014. Ulcéré par ces pratiques qu’il ne peut cautionner, il a réalisé un mémoire demandant l’abrogation d’un PLU, rendu à la sous-préfecture et présenté en conseil municipal le 31 janvier dernier. Pour ce marin-pompier à la retraite, au-delà des pratiques contestables et de « ce PLU au faciès », les risques d’inondations sont largement sous-estimés. « Nous sommes dans une zone où toute l’eau du Luberon s’écoule lors de fortes précipitations. » Ses collègues du conseil n’ont pas voulu l’entendre. La justice le fera-t-elle à sa place ?
1. Ils n’ont pas souhaité répondre aux sollicitations du Ravi
Enquête publiée dans le Ravi n°157, décembre 2018