Le « motodidacte » en roue libre
Si Michel Vauzelle, l’ancien patron (PS) de la Région, avait été épinglé pour ses déplacements en hélico, qu’en sera-t-il pour Christian Estrosi, son successeur (LR) ? « C’est sûr que son bilan carbone ne va pas être terrible ! », s’esclaffe un de ses proches. Il mouille le maillot au point d’organiser, en juin, une plongée sous-marine très médiatisée avec Maud Fontenoy, la vice-présidente (LR) à l’environnement (Cf page 24).
Soupir d’un frontiste : « Une conférence le matin, un déplacement l’après-midi. Six mois après son élection, il est toujours en campagne. » Réplique de Renaud Muselier, le 1er vice-président LR : « Il est comme ça, c’est un hyper-actif. » Mais, avec Jean-Marc Coppola (PCF), ça ne prend pas : « Il se fait mousser sur des dossiers bouclés avant qu’il n’arrive. Comme les fonds européens. » Et derrière, dénonce le centriste Christophe Madrolle, « ce qu’on ne perçoit pas, c’est sa vision ». Ce que semble confirmer, malgré lui, Muselier : « Un premier bilan ? Difficile à résumer. Mais j’ai une note sur nos 70 premières mesures ! »
Priorité aux économies
La culture a beau être une « priorité », avec un budget « sanctuarisé », après sa démission, l’aixoise Sophie Joissains n’a même pas été remplacée : c’est Sophie Eyméoud (UDI, elle aussi), déjà en charge des entreprises, de l’artisanat et de la montagne, qui hérite de son dossier. Même flou sur l’écologie : quand Estrosi ne glorifie pas en plénière le gaz de schiste, Maud Fontenoy, invite aux « assises de l’environnement » Didier Raoult, un chercheur marseillais remettant en cause le principe de précaution et le réchauffement climatique. Même côté sécurité, pour le frontiste niçois Philippe Vardon, « c’est de l’enfumage. Il avait promis des portiques de sécurité dans toutes les gares. Le seul installé, c’est à la gare des Arcs à Draguignan ». Et Amaury Navarranne, toujours à l’extrême droite, d’ironiser : « Espérons qu’Estrosi n’ait pas accordé aux forces de l’ordre la gratuité dans les transports pour qu’ils y assurent bénévolement la sécurité quand ils ont fini leur service ! »
De fait, pour Estrosi, LA priorité, c’est l’économie. Et de promettre « 50 000 emplois » dans la première « Smart région » de France, en multipliant les dispositifs : « pôles de compétitivité », partenariat avec l’association « Bleu blanc zèbre » de l’écrivain Alexandre Jardin, « guichet unique pour les entreprises »… Deux dispositifs que le FN, qui assure seul l’opposition dans l’institution, tourne en ridicule.
Pour « gagner la bataille de l’emploi », il va falloir, lit-on dans le budget 2016, « dégager des marges de manœuvre ». Ce que résume Coppola : « Sa priorité, ce n’est pas l’économie mais d’en faire. Sur les bourses sanitaires et sociales, les prépas "infirmière" ou "aide soignante", le budget entretien des lycées, le nombre de trains. Dans le même temps, il a supprimé les pénalités pour les communes ne respectant pas la loi SRU sur le logement social. » Et Laurent Lhardit (PS), de s’étrangler : « Si la priorité, c’est l’économie, comment peut-on baisser de 25 % le budget de l’économie sociale et solidaire ? » Muselier, dans ses petits souliers : « On a trouvé une institution avec des comptes déséquilibrés. Il a fallu les rétablir. 2016, c’est un budget de transition. Le prochain, ce sera vraiment le nôtre. »
Hyper-centralisme
En attendant, les économies, c’est aussi en interne. Se profile en effet une « nouvelle organisation des services ». Au programme ? « Moins 15 % d’entités c’est-à-dire moins de missions et de services », d’après la FSU, seuls les « postes à responsabilité » faisant pour l’instant l’objet d’une « mobilité ». Avec le concours d’un « cabinet extérieur ». Et cette précision : « Les chefs de service et directeurs seront choisis en fonction de leur compétence et de leur engagement "total". »
Commentaire d’un fonctionnaire : « On chamboule tout et on nous maintient dans le flou. Pour qu’on se sente tous en insécurité. Comme quand ce nouveau directeur adjoint, Jean-Charles Manrique, s’enorgueillit de ses écrits où il dénonce le poids des fonctionnaires en France. » Et notre agent de dénoncer un fonctionnement « hyper-centralisé. On n’a pas – ou peu – de contacts avec les élus. On fait remonter des notes. Sans aucun retour. Jusqu’à ce que le cabinet tranche. »
Certes, le « centralisme démocratique » est loin d’être rare. Mais Estrosi serait un cran au-dessus de Vauzelle : « Lui, c’était plutôt "diviser pour mieux régner"… », ironise un ancien. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui font le parallèle avec le fonctionnement de la « métropole niçoise ». Par laquelle est passé, entre autres, Anthony Borré, le dir’ cab’ d’Estrosi, l’entourage du patron de la Région se partageant en gros entre les « Niçois » et les « Marseillais ». Mais le patron de ces derniers, Muselier, assure que cela se fait « en bonne intelligence. On a rappelé que le "13" représentait la moitié de la Région. »
La région aurait-elle, « géographiquement », basculé ? « Le souci, c’est qu’à vouloir être partout, Estrosi brille par son absence, déplore Laurent Lhardit. Notamment dans le lien avec les autres institutions, comme la métropole. »
D’aucuns ont cru voir avec Joissains – quittant la Culture pour, officiellement, cumul des mandats – la première victime de la gestion très « solitaire » d’Estrosi. Elle s’en défend : « Je suis attachée à la proximité. Et à Aix, j’ai de beaux dossiers. La politique de la ville. Et la culture ! A la Région, l’essentiel a été fait. » Muselier, lui, temporise : « Pour l’instant, il n’y a pas de couac entre élus, ni de dysfonctionnement au cabinet. Estrosi est content d’être là. Et moi aussi ! » Même si, 2017, c’est demain. Et 2020, pas loin. Avec, dans les deux cas, le FN en embuscade. Ce qui promet, pour un « motodidacte » en roue libre, des dérapages plus ou moins contrôlés.
Sébastien Boistel
Enquête publiée dans le Ravi n°142, daté juillet-août 2015