Les vélos de la discorde

Ici, on vient depuis une décennie de toute la planète pour gravir le mythique Ventoux. La surfréquentation – jusqu’à 2 000 cyclistes par jour – agace les locaux et alarme les écologistes de ce territoire, bientôt Parc naturel régional (PNR). Ce récent engouement affûte les appétits financiers. A Bédoin, un gargantuesque projet de vélodrome (Cf le Ravi n°161) a finalement été abandonné. A Malaucène, 2900 habitants, toujours dans le Vaucluse, c’est une autre initiative, d’une filiale de filiale du groupe belge de BTP Artes, qui crispe le débat.
La société Vintour envisage des résidences de tourisme et un hôtel de luxe, sur le terrain des anciennes papeteries. Dans le vallon du Groseau, avant que la départementale n’attaque les lacets du Mont Chauve, l’emplacement est prestigieux. « On souhaite allonger la saison et accueillir une nouvelle clientèle autour de la randonnée ou de la gastronomie », s’enthousiasme Jacques Ongenaet, le responsable de Vintour. Le maire, Dominique Bodon (DVD, ex LR), lui-même ancien papetier, soutient : « On a une friche industrielle sur les bras depuis 10 ans, c’est le seul investisseur sérieux qui s’est présenté et qui permettrait de tourner la page. »
Urbanisation intensive
En 2009, le groupe américain Schweitzer Mauduit a décampé de ce site qui fabriquait du papier de filtres à cigarette. 211 emplois furent détruits. Désormais, Vintour veut en faire un hôtel 4 étoiles et des « appart’hôtels ». De plus, au lieu dit « la plus haute », elle souhaite construire de 30 à 50 résidences de tourisme, avec piscines individuelles. Cette partie du projet pourra se faire dans le cadre d’une Unité touristique nouvelle (UTN), prévue dans le cadre de la loi montagne, pour urbaniser en discontinuité des noyaux déjà existants. La création de l’UTN est en cours de discussion au sein du futur Schéma de cohérence territorial (Scot), actuellement en concertation.
Cette partie haute du projet n’est pas du goût de l’association de sauvegarde du patrimoine de Malaucène (Spam), qui dénonce une fuite vers du « tout tourisme », responsable d’un trop plein de population estivale et d’une urbanisation incontrôlée. Une tendance déjà à l’œuvre : le taux de résidences secondaires dépasse déjà les 30 %, le nombre d’habitants peut être multiplié par quatre au cœur de l’été et les emplois du tourisme sont trop souvent saisonniers et précaires.
« Les résidences touristiques représentent déjà 800 lits. C’est suffisant ! », pointe Elisabeth Rogez-Cochet, membre de Spam et architecte à la retraite. La grande majorité de celles-ci est portée par Vintour. « Le vallon du Groseau a une importance pour les corridors écologiques entre le Ventoux et les Dentelles de Montmirail. On n’urbanise pas ce genre d’écrin naturel », claironne Jean-Alain Mazas, le président de l’association. Il argumente aussi sur l’atteinte au patrimoine. À proximité se trouve une chapelle du XIIème siècle, époque où les papes d’Avignon s’offraient des moments de villégiature par ici.
« Avec le tourisme de masse, on prend des risques sur la ressource en eau », s’inquiète aussi Jean-Alain Mazas. Les arrêtés préfectoraux de restriction d’eau sont de plus en plus fréquents. Le dernier, pris le 5 septembre, prévoit « une réduction portée à 40 % des prélèvements d’eau ». Pour le Spam, la station d’épuration serait aussi insuffisante et « l’artificialisation des sols du vallon », en amont du village, ferait courir des risques accrus d’inondations. « On ne remplacera jamais le plus gros consommateur, qui était les papeteries. La station d’épuration est prévue pour 7 000 habitants. Et nous ne faisons plus d’artificialisation comme au XIXème siècle », balaie le maire.
Bataille judiciaire
Rencontré dans le hall de la mairie, Michel Reynaud, élu d’opposition, dénonce un projet contreproductif : « Le tout vélo, comme toute monoculture, à court ou à moyen terme, c’est mortel. À force qu’il y ait trop de monde, les gens ne voudront plus venir. » À côté de lui, Christophe Ponchon, élu sur l’autre liste d’opposition, ne cache pas sa colère : « Il nous a été présenté un projet plus restreint. Mais depuis mars 2017 c’est devenu l’Arlésienne. Les Belges ont fait des réunions en catimini avec le maire et on a découvert des documents par des responsables des services de l’État. »
Avec Spam, les deux élus ont attaqué devant la justice administrative une délibération du conseil municipal validant une convention entre la municipalité et Vintour. Le 9 juillet, la cour administrative d’appel de Marseille a donné raison à Spam en rendant caduque le Plan local d’urbanisme (Plu) ouvrant la voie à l’urbanisation de « la plus haute ». La mairie et Vintour ont fait appel au Conseil d’État. Une autre procédure engagée par Spam vise le Plan d’occupation des sols (Pos).
Pour les membres de l’association, le vallon du Groseau devrait s’orienter sur des projets de production d’énergie (hydroélectrique et solaire) et de préservation de la ressource en eau. Les papeteries pourraient trouver une utilité artisanale, culturelle et patrimoniale. « Le patrimoine industriel fait aussi partie du patrimoine de Malaucène », expose Paul Peyre, mémoire locale et adhérent de Spam. Il se souvient d’un projet de 1974, qui a fini par être abandonné suite au refus des habitants. Une société suédoise voulait construire 80 chalets sur l’autre rive du vallon du Groseau. En 2020, la transformation des papeteries pèsera sur les municipales. Pour l’heure, aucun candidat ne s’est encore déclaré.