Le harcèlement dans l’entreprise ne connaît pas la crise
David Bordogna, en accident du travail depuis trois ans, a déposé plainte en septembre 2009 pour entrave à délégué du personnel, discrimination syndicale, harcèlement moral, propos homophobes et violences volontaires contre son employeur la société Bonifay. Leader du BTP varois (chantiers du Tunnel et de l’hôpital de Toulon), elle salarie 350 personnes dans le département. « C’est bien simple, j’avais l’impression de travailler sous la France occupée en 1940, avec un climat malsain, tout était basé sur la délation, témoigne-t-il. Et lorsqu’on a monté une section syndicale FO avec deux collègues (1), alors là ça a été la débandade ! » L’instruction est en cours mais David a peu d’espoir : « On nous balade jusqu’à ce qu’on se lasse et qu’il y ait prescription. » Une plainte classée selon le tribunal de Toulon (courrier de février 2011), puis finalement une enquête toujours ouverte (courrier de la Cour d’appel d’Aix d’avril 2011). Et un dossier – que l’on ne savait pas perdu – visiblement « retrouvé » (courrier de la Cour d’appel d’Aix de novembre 2011) ! La justice varoise a ses mystères… « Disons qu’il y a des dysfonctionnements dont on ne connaît pas l’origine…», ironise un avocat toulonnais. André Bonifay ne se fait pas de souci particulier. « C’est du passé pour moi, nous explique le patron mis en cause. Ça fait trois ans que ça dure. C’est comme le loup. On en parle mais on ne le voit jamais venir ! »
Affaires classées
L’association varoise Le Cap, créée en 2004 (2), qui vient en aide aux victimes de harcèlement moral a traité en 2011 222 dossiers : 174 concernaient le Var dont 113 victimes issues du secteur privé et 86 de la fonction publique, dont 48 pour la fonction publique territoriale (3). « Parfois une médiation suffit », indique Louisette Maret-Tiouchichine, juriste et directrice de l’association. Une solution qui fonctionne dans le privé mais que la fonction publique refuse le plus souvent. « Alors que le problème ce n’est pas l’institution elle-même mais des comportements qui engagent la responsabilité individuelle des personnes, précise-t-elle. Sauf quand l’employeur est informé et qu’il ne fait rien. » Dans le Var, seule La Seyne-sur-Mer a mis en place, depuis 2007, une convention avec le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) et Le Cap. La municipalité a aussi rédigé une charte « de bien être au travail ». « On essaie de prévenir ce qui pourrait amener à des situations de harcèlement », indique Patrick Valle, adjoint au maire en charge du personnel.
L’affaire Bertolucci à Sanary, celle du Pont du Las à Toulon, de Charles Camarassa à Solliès-Pont, de René Mocellin à Ollioules : autant de dossiers mettant en cause des employés ou élus de mairie qui ont été jugés. Contrairement à de nombreux autres cas qui tardent à l’être et finissent souvent classés sans suite. Dans ce cas, la victime peut alors faire valoir son droit par la citation directe. « Mais quand ces dossiers arrivent à l’audience, ils sont méprisés par le juge qui estime que vous outrepassez le pouvoir du procureur de la République, explique la directrice de Le Cap. Alors que vous ne faites qu’appliquer la loi. C’est inadmissible ! »
Une fenêtre murée
Patrick Mazin, directeur du service technique du Castellet, quant à lui, a déposé plainte en 2010 pour harcèlement moral contre Gabriel Tambon, le maire UMP. L’affaire est en cours mais Patrick Mazin continue d’embaucher tous les matins dans ce qui ressemblait jadis à un bureau, avant que sa fenêtre ne soit murée, son portable supprimé, son véhicule de fonction envoyé à la décharge et ses primes enlevées. « Je n’ai plus aucun contact avec qui que ce soit, les gars ne m’adressent plus la parole, se désole-t-il. Je pourrais mourir là que personne ne s’en rendrait compte ! » Il affirme ne pas connaître la raison de ce qui ressemble à une mise au placard. A 57 ans, cet Auxerrois, qui « regrette sa mutation dans le sud », ne pensait pas finir sa carrière ainsi : « Je suis parti six mois en dépression mais j’ai décidé de revenir et de me battre, c’est trop facile sinon. » Patricia Giuliano-Lombardi, fonctionnaire responsable de l’office de tourisme a déposé plainte elle aussi pour le même motif. Monsieur le maire n’a pas donné suite à notre demande d’interview. A en croire René Roubaud, élu d’opposition DVD, ce genre de persécutions est chose courante au Castellet : « Chaque fois, ça s’est terminé en cas de harcèlement. C’est comme ça depuis 50 ans… » Un maire silencieux, donc, et qui a les moyens de faire durer. Il a fait appel en cassation et sa majorité lui a accordé la protection juridique.
Samantha Rouchard