Le fric, c’est parfois chic
Un financeur solidaire pour l’emploi, est-ce vraiment possible ? C’est en tout cas l’objet même d’Esia Provence-Alpes-Côte d’Azur. « Esia est un outil parapublic », explique Bruno Rochegude, son directeur délégué. Il s’agit d’une antenne régionale du réseau France Active, né en 1988 sous l’impulsion de Claude Alphandéry, ancien résistant, banquier et militant de l’Economie sociale et solidaire. Son crédo : accompagner pour trouver des solutions à ceux qui ont des difficultés d’accès à l’emploi, en finançant d’une part les entreprises d’insertion par l’activité professionnelle, mais aussi en aidant les créations d’entreprise de demandeurs d’emploi. « Ces entreprises, pour la majorité d’entre elles de type associatif, sont sous-capitalisées à la base, poursuit Bruno Rochegude. Elles ont besoin de fonds propres pour disposer de ressources stables et de besoins en fonds de roulement pour leurs investissements. »
Esia assure un vrai suivi et fournit un fonds de garantie qui rassurent les autres prêteurs. C’est une logique du partage du risque qui protège les pourvoyeurs de fonds. « Mais là où je suis inquiet c’est pour les entreprises de l’ESS, notre cible, reconnaît le financeur. Il y a une vraie tension avec les subventions, ce qui pousse ces entreprises à aller chercher de l’argent sur les marchés, publics ou privés, et remet en cause leur modèle économique, et parfois même leur principe fondateur. » Esia peut tout de même se targuer d’avoir accompagné ou financé, en 12 ans d’existence, plus de 500 structures, et permis la création de 200 emplois directs.
Si les difficultés sont réelles, il existe de nombreux outils financiers qui permettent d’orienter des fonds vers des projets concrets, hors des circuits financiers. L’Agence provençale pour une économie alternative et solidaire (Apeas) a porté pendant plus de 10 ans l’antenne régionale des Cigales, des clubs d’investisseurs pour une épargne solidaire, où un groupe de 5 à 20 personnes s’engagent ensemble pour soutenir financièrement et accompagner des projets de développement local, ou culturels. Un cran au dessus, les Garrigue (Coopérative de Capital-risque solidaire) permet un apport en capital supérieur.
Le succès de la Nef – la Nouvelle économie fraternelle – témoigne également de cette volonté citoyenne de considérer autrement l’argent, pour qu’il « ne soit pas une fin en soi, mais un moyen pour financer des projets », explique Marine Gauchier, responsable clientèle Paca de la société coopérative financière. 26 ans après sa création, la Nef a franchi une étape décisive le 24 mai dernier avec le plébiscite de ses 33 000 sociétaires pour la transformer en véritable banque. Un statut qui lui permettra d’offrir d’autres services, notamment de réaliser des opérations de court terme et de gérer directement ses ressources, placées par sa tutelle, le Crédit coopératif. « Si on existe encore, c’est qu’on parvient à maîtriser les risques tout en gardant une dimension humaine, avec des critères sociaux et écologiques très orientés pour nos projets », indique la chargée de crédit. Une recette qui séduit encore plus depuis la crise financière de 2008. « On voudrait une prise de conscience dans les milieux de la finance et montrer que l’argent arrive à relier les hommes », ajoute Marine Gauchier.
C’est bien ce même esprit qui habite les initiateurs de monnaies complémentaires, qui se sont multipliées depuis les années 80 [Cf le dossier Festi’Fric du Ravi n°93]. Près de 30 monnaies locales circulent déjà en France, auxquelles s’est ajoutée, le mois dernier, la Roue à Marseille, lancée par l’association Seve13. Ce collectif issu du mouvement des Indignés souhaite, comme ses homologues, redynamiser l’économie locale et donner une autre dimension à la monnaie, celle d’un échange humain, « contre la spéculation et le fondamentalisme marchand ». L’essor de ces systèmes d’échanges locaux a ainsi conduit l’Etat à missionner un groupe de travail, pendant tout le printemps 2014, pour étudier les implications économiques de ces monnaies, mais aussi les éventuelles obstructions qu’elles peuvent représenter face à un de ses pouvoirs régaliens. Aux côtés des collectifs citoyens, les collectivités locales, elles, sont de plus en plus parties prenantes de l’émission de ces systèmes d’échanges locaux (Sel). Et ce n’est pas un hasard si tous ces dispositifs reviennent en force, 30 ans après les premières crises financières, à un moment de forte interrogation sur les fondements du système libéral.
Anne-Claire Veluire