Le centre social Saint Gabriel, haut-parleur des quartiers nord
Assis sur un tabouret dans le hall du théâtre du Merlan dans le 14e arrondissement de Marseille, Karim, la trentaine assurée, lunettes de soleils sur le crâne, témoigne. « On était dans des quartiers difficiles. Grâce au centre social Saint Gabriel j’ai pu passer le BAFA quand j’avais 17 ans, ça m’a permis de gagner un peu d’argent, ce n’est pas négligeable. Et j’ai pu rendre service au quartier avec l’animation de rue. Ça nous a aidés à grandir, dans le travail, mais dans la vie aussi. Aujourd’hui, je dirige deux structures municipales à Aubagne. C’est un peu un aboutissement. » Dans la salle, Karim n’est pas le seul à avoir croisé sur sa route le centre social Saint Gabriel. Comme lui, d’autres ont bénéficié de son soutien et ont accepté de raconter leur parcours, le mercredi 15 mars, lors de la présentation du troisième rapport national « paroles et parcours d’habitants » auquel ils ont contribué.
C’est la première fois que Marseille est impliquée dans ce projet. Mais cette participation était finalement une évidence alors que les quartiers nord représentent « la dixième ville de France », ainsi que le rappelle Francesca Poloniato, directrice du théâtre du Merlan se définissant comme une « passeuse d’arts et de rencontres ». Passeuse, ou passeur : le mot est au cœur du troisième opus de la Fédération des centres sociaux de France. Comment une rencontre peut-elle changer une vie ? Huit habitants fréquentant le centre social Saint Gabriel ont raconté leur parcours durant quatre groupes de parole. Pour certains, l’accompagnement remonte à loin, à l’image de Patrice Benedetti, aujourd’hui danseur chorégraphe, « qui ne savait pas ce qu’il y avait au-delà du boulevard Plombières », se remémore Danielle Galus, directrice du centre social. Pour propulser les habitants vers des trajectoires positives, Saint Gabriel a choisi de les mettre « au cœur du projet. Ils sont gestionnaires de l’association et les professionnels sont au service du projet. On essaie d’être en parité ». Et de compléter : « La façon dont on regarde les gens fait que les choses peuvent bouger. » Dans une relation d’égal à égal, le passeur peut jouer un rôle de tremplin pour les habitants.
« Il n’y a pas que le travail ! » « Tremplin », c’est aussi le nom du programme porté par la structure de Danielle Galus : un accompagnement de projet contre du temps consacré à son quartier. Aide le centre et le centre t’aidera ! Aïcha, trentenaire, veste en jean, cheveux attachés laissant échapper quelques mèches devant son visage a bénéficié de cette initiative. Elle raconte : « J’ai habité à Endoume puis je suis allée dans les quartiers nord, en 1991. C’est là que j’ai découvert le centre social, par hasard, pendant une sortie en famille. J’ai pu devenir bénévole. Ça enrichit ma vie. » Un peu « émue », comme elle le dit elle-même, elle poursuit : « grâce au projet Tremplin, on nous a proposé plein de choses intéressantes, comme des ateliers d’écriture. C’est super important que les habitants aient accès à la culture. A Endoume, je bossais pour me nourrir, pas plus. Mais merde ! Il n’y a pas que ça. Il n’y a pas que le travail ! » Elle se rappelle les découvertes qu’elle a faites, au théâtre, dans les musées. Aïcha a ensuite trouvé un emploi au théâtre du Merlan, où elle est hôtesse d’accueil. Aujourd’hui, elle veut donner à son tour : « J’essaie, en tant que bénévole au centre social, de transmettre cette envie d’être acteur de notre quartier, aux habitants, et aussi à mes enfants. »
Emmitouflé dans une épaisse écharpe grise et bleue, Majid est né à Mayotte. « En France, ce qui me plaisait, c’était les rollers, raconte-t-il, plein d’entrain. C’est comme ça que j’ai connu le centre aéré. » Son projet à l’époque : être animateur. « Le métier me plaisait beaucoup : amasser un maximum de monde pour qu’ils s’amusent et pratiquent des activités qu’ils ne font pas avec leurs parents », poursuit-il. Parce que « c’est compliqué parfois », surtout lorsque c’est payant alors qu’on peine à remplir le frigo… Au centre Saint Gabriel, il a donné de son temps en échange du financement du BAFA. Le certificat en poche, il a travaillé deux ans pour le centre. Mais « ils me disaient d’aller voir ailleurs », plus loin que le quartier. C’est ainsi qu’il a trouvé un emploi d’animateur au centre aéré des Trois Lucs, dont il est aujourd’hui directeur adjoint.
Impliquer les politiques Des habitants actifs, qui donnent et s’impliquent, aux antipodes de la caricature qui en est souvent faite. Si le rapport intitulé « Tisser la confiance dans les quartiers populaires » veut mettre en lumière ces parcours, il a également pour ambition, en pleine campagne électorale, d’interpeller les décideurs politiques. « Nous sommes allés à Paris, explique Joseph Richard-Cochet, délégué de la Fédération des centres sociaux dans les Bouches du Rhône. Nous avons été reçus par l’Association des maires ville et banlieue et nous avons échangé sur des propositions. » Résultat : « Six propositions pour valoriser les ressources et renouveler l’action publique dans les quartiers populaires », parmi lesquelles tisser la confiance, permettre de franchir les frontières, géographiques mais aussi mentales, ou encore « porter une attention particulière aux lieux de l’hospitalité et du vivre-ensemble ». Cependant, pour impliquer les politiciens, beaucoup reste à faire. « Ici, il y a peu de répondant même s’il y a un intérêt marqué chez certains », juge Joseph Richard-Cochet. Impression partagée par Karim : « Je suis en lien avec les élus. Moi je ne ressens pas beaucoup d’implication, qu’elle soit humaine ou financière. » D’ailleurs, dans le hall du théâtre où se tient la conférence, une seule élue a fait le déplacement, Haouria Hadj Chick. Interrogée sur l’inaction des hommes et femmes politiques, la conseillère départementale (groupe des élus indépendants) s’est voulue rassurante, suggérant qu’il faut « bousculer » les décideurs. Et de conclure : « La pression sociale devrait leur donner de l’énergie ! »
Maëva Gardet-Pizzo