Le Cedis, entre réquisitions et institutions
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Dans le hall d’entrée, Denko, Bulgare trentenaire, sourit à l’évocation de sa bonne fortune du début d’année : il vient d’obtenir un appartement en HLM. Quelques mois après avoir signé un premier CDI, il va pouvoir s’installer chez lui. Et libérer ainsi sa chambre du pavillon Riser de l’hôpital Purpan. Il en glisse les clefs dans la main de Thomas Couderette, membre du Collectif d’entraide et d’innovation sociale (Cedis). « Ça fait plaisir, c’est qu’il a trouvé son logement, c’est une victoire…», apprécie ce dernier. En septembre, le Cedis réquisitionnait ce bâtiment désaffecté du CHU de Toulouse pour y loger des sans-abris. Cinq mois plus tard, 75 personnes, françaises ou venues d’Afrique subsaharienne et d’Europe de l’est, y résident toujours. Dans un climat apaisé avec les autorités locales.
C’est ce que certains appellent le « modèle toulousain » en matière de logement et d’hébergement : alors que la situation tendue du secteur donne souvent lieu, dans les métropoles, à des bras de fer opposant les pouvoirs publics aux soutiens associatifs et des sans logis, un mode de relation moins crispé s’esquisse à Toulouse. Suscitant l’intérêt : mi-janvier, des représentants du Haut comité pour le logement des populations défavorisées (HCLPD, présidé par Marie-Arlette Carlotti) sont venus rencontrer le Cedis pour en savoir plus.
Réquisitions de logements…
« A l’origine, il y a la rencontre de travailleurs sociaux qui en avaient marre de laisser des gens à la rue et de personnes issues du milieu squat », résume Thomas Couderette. Travailleur à mi-temps dans un autre domaine, il est un ancien militant du Groupement pour la défense du travail social (GPS). En 2011, le GPS mène une campagne « 0 personne à la rue » avec les militants de ce qui deviendra la Campagne de réquisition, d’entraide et d’autogestion (Crea). Leur mobilisation accouche de la maison Goudouli, un lieu d’accueil pour 25 « grands exclus ». Deux ans plus tard, suite à une autre campagne de réquisition solidaire menée par le GPS, le Dal Toulouse et le collectif SDF 31, naît le Cedis. Collectif sans statut juridique, il entend « prioriser le projet social sur le discours politique », résume sobrement Thomas Couderette. « On est marqué par une éthique de travailleurs sociaux, on est là pour coller au problème. Notre action est politique mais pas sur une ligne idéologique. »
Une action qui se veut efficace et pragmatique. Lui préfère parler d’une « vraie compréhension des enjeux dans leur diversité ». Le Cedis estime à 1500 le nombre de personnes sans logement à Toulouse : environ 500 dans des bidonvilles, 700 dans les squats et le reste à la rue. « En gros, on a besoin de 800 logements, estime-t-il. Selon les chiffres de l’Insee, il y a un peu plus de 10 000 logements vides trop longtemps, plus de trois mois, aujourd’hui à Toulouse. » En 2014, la naissance du collectif coïncide, à quelques mois près, avec l’arrivée de la nouvelle équipe municipale (LR) de Jean-Luc Moudenc au Capitole. Très vite, le Cedis fait pression pour qu’elle « prenne ses responsabilités sur le relogement en diffus. On leur a dit qu’ils pouvaient mobiliser le patrimoine immobilier toulousain ». Une ancienne maison de retraite dans le quartier du Mirail est utilisée pour reloger des sans-abris. « Avec les institutions, on défend un rapport exigeant mais constructif », explique le militant, estimant que cela a permis de « créer un contexte » fécond : « en trois ans, Toulouse est passée de 1500 à 500 personnes vivant dans les bidonvilles. »
…avec le soutien de la mairie
Du côté de la mairie (LR), on ne dément pas, au contraire, cette « entente cordiale ». « Avec quelques associations, nous avons créé un espace d’échange, le groupe Errance, sur les questions de précarité, et notamment d’hébergement, explique Daniel Rougé, troisième adjoint au maire de Toulouse, chargé de la solidarité et des affaires sociales. Nous nous voyons régulièrement pour trouver des solutions communes. Les idées arrivent au fil des besoins et des situations. Avec le Cedis, l’échange est intéressant, et nous partageons l’objectif d’aider les personnes en difficulté. Ce n’est pas de la politique, là, c’est de l’humain. De temps en temps, ils font des actions dites de réquisitions, dans ces cas-là, on peut aller parler aux propriétaires. Tout cela relève de l’organisation, de l’échange et du dialogue. Thomas Couderette est un homme de dialogue et ça, c’est précieux. » Lors de la réquisition du Pavillon Riser, la mairie a discrètement fait savoir au CHU tout le bien qu’elle pensait du collectif, histoire de désamorcer les tensions.
Accueillant des publics divers, demandeurs d’asile, déboutés du droit d’asile, mineurs isolés, etc. mais « complémentaires », le Cedis défend une « grande diversité » des dispositifs d’accueil : « Le logement, ça doit être adapté et choisi. » Convaincus aussi que « l’inclusion sociale des publics » passe par plusieurs voies, les activistes du collectif se partagent dans des commissions : logement, alimentation, santé, éducation, culture. Des partenariats institutionnels ont été noués – avec Médecins du Monde ou avec l’association Culture du cœur – et les liens avec le Crea ou le DLA entretenus. Et en début de mois, un repas partagé est ouvert à tous au Pavillon Riser. Une main au feu du dialogue avec les autorités, l’autre à celui des actions et des luttes, le Cedis tient son cap : « Notre sujet, c’est la mise à l’abri. »
Emmanuel Riondé
Article publié dans le cahier spécial « la solidarité au conditionnel« , sur la 5ème édition des Etats généraux de l’urgence sociale en Paca, publié dans le Ravi n°159, daté février 2018.