Le bon plan Hundertwasser
Pour préparer la capitale européenne de la culture en 2013, la ville de Marseille a fait passer les budgets de fonctionnement de ses musées de 1,8 à 3,5 millions d’euros. Difficile pour l’instant de savoir à quoi sert cet argent puisque la plupart sont fermés, à l’exception du Musée d’Art contemporain (MAC), du musée Cantini et de la Vieille Charité. Mais dans les deux premiers, il n’y a eu aucune expo en cours durant la saison estivale . Comme les années précédentes, seul le musée de la Vieille Charité a assuré l’animation culturelle. Alors que la ville nous avait habitués ces dernières années à visiter encore et encore les impressionnistes du début du XXe siècle, le bâtiment construit par Pierre Puget a abrité cet été une exposition d’un artiste viennois dont Jean-Claude Gaudin a eu toutes les peines à prononcer le nom : Friedensreich Hundertwasser.
Evidemment, rien sur la rade de Marseille depuis l’Estaque dans cette exposition, ouverte du 27 avril au 9 septembre, mais 150 tableaux abstraits enivrants de couleurs et de spirales, le motif fétiche de l’artiste. L’homme est également connu pour ses réalisations architecturales à Vienne, Magdebourg ou Francfort où toute ligne droite est bannie au profit d’un hommage à la nature. L’artiste concevait ses bâtiments avec les habitants, liant systématiquement son travail d’artiste avec une dimension sociale et environnementale. C’est une surprise de retrouver ce Gaudí de l’Est dans une ville qui s’apprête à célébrer en 2013 le fonctionnalisme rigoureux du Corbusier. Et manifestement, le public a apprécié puisque 64000 entrées ont été enregistrées, à peine moins donc que les 85 000 visites de « L’orientalisme en Europe », la grande exposition de l’été dernier.
De fait, l’expo Hundertwasser n’a pas portée par la ville, qui se réjoui maintenant « d’un réel succès », mais par Charlotte Benssoussan. « Au départ, il n’était pas question d’exposition dans un musée, mais bien de placer ces œuvres sur le cours Belsunce, car mon projet autour de Hundertwasser est plus global, résume-t-elle. Je voulais faire un peu comme lui : travailler à valoriser ce quartier en partant d’un travail avec les habitants et les commerçants. Mais tout ne s’est pas déroulé comme prévu. » Conseillère dans des projets de restructuration urbanistique, elle a découvert un peu à ses dépens le monde sans pitié de la culture. « J’ai commencé par aller voir la mission centre ville en 2009, qui m’a envoyée vers le Conseil général, qui m’a renvoyée vers la mairie de Marseille. Là, presque par hasard, j’ai rencontré Solange Biaggi (NDLR Adjointe au maire UMP en charge du commerce et du centre ville). C’est elle qui m’a aidée à porter mon projet dans les différents services. Mais dans le même temps, Patrick Mennucci (NDL maire de secteur PS), m’a mis des bâtons dans les roues entre 2010 et 2011 alors que j’avais besoin de lui pour les opérations sur Belsunce. » Derrière ce bras de fer se profilaient évidemment les élections législatives de 2012 (NDLE Biaggi a affronté Mennucci qui a été élu).
« J’ai eu l’impression d’être dans un shaker alors, à un moment donné, je me suis protégée en devenant économiquement autonome et en travaillant pour que l’exposition ait lieu à la Vieille Charité. Au final, c’est mon association, Viens à Marseille, qui a avancé les 150 000 euros de départ de l’opération. » Ballotée de services en services, instrumentalisée par un combat politique, Charlotte Bensoussan a vu également ses amis de la culture s’éloigner d’elle. « Ils considèrent que je me suis mis personnellement en danger dans cette affaire, avance-t-elle. Mais, moi, ce que je souhaite prouver avec cette expérience, c’est que l’on peut aujourd’hui faire de la culture sans passer obligatoirement par la case des subventions. » Pour Daniel Hermann, un des adjoints UMP chargé de la culture, ce n’est pas tout à faire vrai : « Le musée de la Vieille Charité a pris en charge la scénographie, le transport et l’assurance des 150 tableaux, ce qui, avec les coûts de fonctionnement du musée sur quatre mois, représente quand même 600 000 euros de dépenses ! »
Charlotte Benssoussan a tenté de rentrer dans son investissement en vendant les produits dérivés qu’elle achète à la fondation Hundertwasser et revend à la boutique du musée, dans le commerce éphémère de la rue Foccia et dans le local du centre social de Beaussenque. Elle mène également un travail de valorisation des façades avec les femmes du quartier. « Sur ce projet, je cherche à lier de façon plus forte les dimensions culturelles, économiques et sociales, explique-t-elle. C’est exactement ce que faisait Hundertwasser à son époque. » Un modèle qui rappelle une certaine capitale européenne de la culture. « Au début, ils n’ont pas retenu mon projet. Mais aujourd’hui, ils ont accepté de le labelliser, c’est-à-dire… sans argent ! » Et Daniel Hermann, de conclure : « c’est une bonne formule pour ouvrir un peu les fenêtres des musées de Marseille avec des propositions d’associations et des artistes qui détonnent dans le paysage habituel sans que cela ne soit onéreux pour les finances de la ville. C’est une ouverture que nous devons cultiver à l’avenir, car après 2013, il faudra bien les remplir, les musées ! »
Stéphane Sarpaux