Le bon grain de l’ivraie
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Des étudiants « assis sur le rebord des fenêtres » comme le dit Hugo Pierson, le président de l’Unef (1) à Amu, « ou par terre, à côté du prof », selon Victor Lenfant, le président de l’Uni (2). C’est l’un des marronniers de septembre : la surpopulation universitaire. En 2016, ils étaient près d’un million et demi d’inscrits en France et sont environ 40 000 de plus chaque année. Depuis la fusion des universités en 2012, Amu a vu ses effectifs passer de 72 000 à 77 000.
C’est ce qu’on appelle la « massification » de l’enseignement : environ 80 % d’une classe d’âge obtient le bac de nos jours (contre 30 % en 1985). Et deux bacheliers sur trois continuent leur cursus à la faculté. « En parallèle, le budget de fonctionnement de l’enseignement supérieur stagne, affirme Jules (3), animateur national des Jeunes Insoumis et thésard à Amu. Le budget moyen alloué par étudiant est donc en baisse. »
Au-delà des mauvaises conditions de travail, en amphi ou parfois en travaux dirigés, c’est l’échec qui prime pour ces néo étudiants : environ 60 % ratent leur première année. Un chiffre à relativiser selon Caroline Mauriat, enseignante chercheuse et représentante du syndicat Snesup-FSE à Amu : « Au bout de trois ans, 18 % stoppent leurs études. Pour les autres, il y a eu changement de parcours, dans une autre filière. C’est positif finalement, l’université ne fonctionne pas si mal. » La syndicaliste dénonce tout de même « une logique de rendement, du chiffre. Le taux de réussite des élèves est un indicateur des dotations de l’Etat aux universités. Nous n’avons pas de pression frontale de la direction mais nous savons ce que nous avons à faire… »
« Quand on voit qu’un étudiant sur deux doit travailler pour payer ses études, l’ajustement des bourses, il faut peut-être prendre le problème par là », dénonce Hugo Pierson de l’Unef, rejoint par la France Insoumise. Selon le syndicat, 20 % des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté. Les principaux syndicats, sauf l’Uni, sont tous pour plus de moyens et d’investissements de la part de l’Etat. Pour Marianne Faddoul, la présidente de la Fami, une fédération d’associations bientôt affiliée à la Fage (4) « ouverte au dialogue, apolitique » et majoritaire à Amu, « l’Etat doit mettre les moyens et faire en sorte que les étudiants réussissent. Même si cela prend du temps. »
« Face à cette massification, la seule réponse qu’on apporte c’est la sélection », constate Hugo Pierson. Le mot tabou vient d’être lâché. Le code de l’éducation interdit la sélection à l’entrée des filières « libres » pour tous les bacheliers. Un principe que souhaite remettre en cause Emmanuel Macron et sa ministre de l’Education, Frédérique Vidal, suite au fiasco de la plateforme Admission post-bac (APB) cette année, avec des étudiants tirés au sort ou laissés sur le carreau. Le président a lâché au Point, cet été, que « l’université [n’est pas] pour tout le monde ». Sa ministre a évoqué, tout en restant très floue, des prérequis pour les admissions 2018. En gros : pas de fac de médecine si vous avez passé un bac littéraire. L’Uni y est favorable, tout comme Yvon Berland, le président d’Amu, en y ajoutant la possibilité d’une année de remise à zéro et une meilleure orientation (5).
Ce qui en fait bondir plus d’un. « Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage, s’énerve Jules, l’Insoumis. On veut nous faire croire que l’université a un problème structurel mais nous tenons une logique inverse : pour que les étudiants réussissent, l’Etat doit mettre le paquet sur l’encadrement pour une meilleure réussite. » Une sélection, jamais proposée depuis Jacques Chirac en 1986, qui pourrait conforter une reproduction sociale déjà bien installée. Les fils d’ouvriers et d’employés sont minoritaires par rapport aux enfants de cadres, pourtant moins nombreux : 23,5 % contre 30 % 0(6). Et ne parlons même pas des filières « d’élite ».
A la Fami, on veut croire à une meilleure orientation, dès la seconde – beaucoup trop tôt pour certains – en multipliant les échanges avec les lycées qui seraient sommés de préparer leur projet professionnel fissa. Marianne Faddul mise également sur les innovations pédagogiques et le sacro-saint numérique pour désengorger les amphis. Elle estime également qu’il faut valoriser les filières professionnelles ou les IUT et augmenter le nombre de places car « ceux qui ne réussissent pas à la fac viennent bien souvent de bacs professionnels ». Une impasse pour ces étudiants souvent issus de la classe populaire puisque, de plus en plus, ces filières courtes et déjà sélectives sont trustées par les bacs généraux… « Il faut un véritable débat, en place publique, sur le rôle de l’université, s’insurge Caroline Mauriat. Qu’est-ce qu’on attend du système éducatif ? Donner sa chance à tous, former des citoyens éclairés ? Cela n’en prend pas le chemin. » A défaut d’une voie de garage.
Clément Chassot
1. Union nationale des étudiants de France, classée à gauche.
2. Union nationale inter-universitaire, classée à droite.
3. Qui ne souhaite pas communiquer son nom de famille.
4. Fédération des associations générales de France.
5. Cf La Provence, le 05/10/2017. Ni Yvon Berland ni la direction de l’Amu n’ont souhaité répondre au Ravi.
6. Ministère de l’Éducation nationale, 2016
Enquête publiée dans le Ravi n°156, daté novembre 2017