L’autre Roya solidaire
Depuis la mi-juillet dans le Briançonnais, « de 10 à 50 passages de la frontière se font par nuit » renseigne Lætitia Cuvilier de l’association Tous Migrants. La Police aux frontières (Paf) et la gendarmerie multiplient les barrages routiers dans la vallée de la Clarée. Ce coin isolé communique avec l’Italie par le Col de l’Echelle, dont la route est fermée en hiver. Il est à l’écart du plus surveillé Montgenèvre, à 100 km de Turin. Ismaël et Ibrahim ont franchi l’Echelle en février. « C’était la première fois que l’on voyait la neige. On ne connaissait pas le danger » confie Ismaël. « Ibrahim n’avait qu’un coupe-vent et était pieds nus dans ses baskets » se souvient Yves qui a recueilli les deux jeunes hommes chez lui. Errant en altitude en mars 2016, Mamadou s’est vu amputé ses pieds gelés à l’hôpital de Briançon. Le 23 juillet, deux jeunes guinéens ont été secourus en état d’hypothermie dans la vallée de la Clarée. Le 19 août, deux exilés chutent de 40 mètres depuis la route de l’Échelle en tentant d’échapper à une patrouille de police. Sorti de l’hôpital de Briançon, l’un d’eux, mineurs isolé, a été pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) à Gap. Dans un état préoccupant, le second est hospitalisé à Grenoble (1).
Les nouveaux « Justes »
L’association Tous Migrants, qui revendique 200 adhérents, œuvre concrètement à l’accueil. En novembre 2015, son action conduit à la venue d’une vingtaine d’exilés passés par Calais. À l’été 2016, un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) de 60 places s’ouvre dans la ville du nord 05. En novembre, un bus amène des nouveaux arrivants au Centre d’accueil et d’orientation (CAO), structure initiée par l’État après le démantèlement des jungles. Ils se voient appliquer Dublin III. Ce règlement européen impose aux exilés de retourner dans le pays par lequel ils sont entrés afin d’y faire leur demande d’asile. Pour refuser leur « réadmission » en Italie, le 6 juin, ils sont une quinzaine à entamer une grève de la faim sur le parvis de la MJC de Briançon. En mai, 21 migrants du CAO d’Embrun avaient fait de même durant dix jours.
Du 22 au 26 juin, exilés et soutiens effectuent une « marche pour le droit d’asile » de Briançon à Gap. À l’arrivée, 500 personnes manifestent pour demander l’accès au droit d’asile et la prise en charge des mineurs isolés étrangers. Des élus haut-alpins signent une lettre ouverte « en soutien aux migrants et aux citoyens solidaires », affirmant notamment que « l’Histoire retiendra que [les citoyens solidaires] sont les « Justes » de notre époque ». Ils sont plus de 70 à l’avoir paraphée dont les deux députés (LREM) du 05 Joël Giraud et Pascale Boyer ainsi que le maire (DVG) de Briançon, Gérard Fromm. Le 30 juin, le préfet des Hautes-Alpes, Philippe Court, reçoit les marcheurs mais reste inflexible.
Urgence humanitaire
Fin juillet, la communauté de communes met à disposition un local. L’ancienne caserne des CRS de haute-montagne est gérée par la Coordination réfugiés solidaires (CRS) pour un séjour de 48 à 72 heures. « Les conditions d’accueil sont précaires. 18 places c’est loin d’être suffisant » informe Michel Rousseau de Tous Migrants. La mairie propose également une maison d’une dizaine de places pour le premier accueil. « Chez Marcel » est une troisième maison « réquisitionnée » pour « soutenir les sans-papiers du Briançonnais tout en faisant du lien avec la population » expose Mathilde, membre du collectif qui occupe le lieu. Une dizaine de places est proposée, en attendant des chantiers collectifs pour rendre habitables d’autres parties de la maison.
« 70 % des personnes qui arrivent cet été sont des mineurs isolés » selon Mapi, de Tous Migrants. Le département, responsable de l’ASE, est « à la limite des capacités d’accueil physiques et financières » soutient Fabrice Hurth, directeur de cabinet du président du Conseil départemental. Régulièrement, les associations d’aide aux étrangers du 05 dénoncent la non-prise en charge des mineurs et organisent leur hébergement chez des particuliers. Le 21 août, sous le patronage du département, le lycée agricole de Gap a mis à l’abri 71 mineurs étrangers en provenance de Briançon. Une solution éphémère puisque les locaux reprennent leur vocation scolaire à la rentrée.
Comme dans les Alpes-Maritimes, les contrôles de police de plus en plus fréquents dans les trains posent un obstacle à l’accès au droit pour des migrants qui doivent se rendre à la préfecture ou au conseil départemental. « Les contrôleurs collaborent. Parfois ils font descendre les migrants des trains même s’ils ont un billet », s’insurge Mapi. Les contrôles d’identité sont également récurrents en ville. « Ceux qui n’ont pas été enregistrés à leur arrivée à Briançon se font régulièrement ramener en Italie en dehors de toute procédure légale » rapporte Mapi. Alors qu’il sortait de la maison prêtée par la mairie, un Soudanais « dubliné » a été arrêté le 16 août puis envoyé au Centre de rétention administratif (CRA) de Marseille avant d’être libéré pour irrégularité de la procédure.
« Pour le préfet, l’Italie demeure un pays de droit dans lequel on pourrait sans problème obtenir l’asile » rapporte Abdoulaye (2), un exilé qui a fait partie de la délégation des marcheurs en préfecture. Mais nombre de « dublinés » sont laissés à la rue une fois en Italie, quand ils ne sont pas expulsés vers leur pays d’origine ou exploités par la pègre selon les observations d’ONG. Jouant sur la peur de l’extrême droite, Marco Minniti, le ministre italien de l’Intérieur affirme que « les flux migratoires peuvent devenir une menace pour la démocratie de notre pays ». Des arguments trop courts aux oreilles du préfet pour ne pas appliquer Dublin.
1. Fin août, au moment où nous bouclons.
2. Prénom modifié pour garantir l’anonymat.