« L’autiste vous remercie ! »
8h55
Ouverture des portes au public, sous la bonne garde de deux RoboCops de la police municipale. La salle (presque neuve) du conseil affiche complet, soit une vingtaine de retraités…
8h58
Installé sur un siège rehaussé qui lui permet de dominer l’assemblée, cheveux plaqués en arrière, costume-cravate bleu nuit de travail Les Républicains, Hubert Falco tape du poing sur son bureau en pestant entre ses dents : « Fais chier ! »
9h04
Le sénateur-maire de Toulon, depuis 2001, a retrouvé son calme. Il ouvre la séance sans salamalecs ni vœux de bonne année. Et sans plus de cérémonial annonce : « Avant toute chose, je tenais à vous informer de la démission de Monsieur Alfonsi. » Conseiller régional de 1998 à 2015 et élu de Toulon depuis 2001, le candidat de la gauche unie aux dernières municipales a accompagné la lente agonie de la gauche varoise. Il est remplacé par la 4ème de liste, Sophie Lebedel, qui fait son retour au conseil municipal, où elle a siégé entre 2008 et 2014. Les Toulonnais y gagnent en jeunesse et en charme.
9h08
Viviane Driquez (PS) est la première à dégainer pour l’opposition et attaque dès la deuxième délibération, qui porte sur le budget primitif 2016 de l’Office de tourisme. « En comparaison à d’autres villes, le nombre de nuitées de 2015 me semble faible », persifle cette rouquine d’une cinquantaine d’années. Si Hubert Falco se réjouit d’un « taux d’occupation de 65 % à 70 % », Jérôme Navarro, son adjoint aux fêtes et cérémonies, bougonne une explication peu glorieuse : « Les autres villes ont en plus des campings… »
9h19
Délibération 6, « Autorisation d’indemniser des agents au titre de la protection fonctionnelle ». Danièle Le Gac (FN), un petit bout de femme à la mise en plis soignée et aux lunettes rouges, sermonne immédiatement : « Nous voterons cette délibération. Mais c’est scandaleux de constater que des fonctionnaires de police sont agressés ! » Réponse de Falco, blasé : « Vous êtes dans une logique qui est la vôtre, il n’y a pas plus d’insécurité à Toulon qu’ailleurs. » Peut-être même moins qu’ailleurs…
9h20
Dans la foulée, Viviane Driquez demande la parole. « Je ne sais pas si ça se fait, mais j’aimerais revenir à la délibération 5. Je voulais intervenir mais vous ne m’avez pas vue. » Et d’enchaîner : « Il y avait dans Le Monde de la semaine dernière [12 janvier, Ndlr] un article sur la désaffection des centres-villes. J’aimerais faire un parallèle avec Toulon et l’ouverture de la nouvelle zone commerciale à La Valette que vous irez inaugurer… » « Vous connaissez mon emploi du temps ? Occupez-vous de vos affaires ! », coupe le sénateur-maire. Qui souffle d’exaspération pendant que son opposante poursuit.
9h22
Fin de l’intervention de la socialiste. Le patron des LR du Var enlève ses lunettes d’astigmate, ouvre les bras, tape du plat du poing sur la table, serre ses mains en signe de supplication tout en promettant qu’il se « bat pour changer le cœur de ville ». A vue d’œil, ça n’est pas si évident : malgré une réhabilitation lancée il y plus de 20 ans, le centre-ville fait toujours grise mine…
9h23
Arrivée d’un jeune en survêt, qui s’installe en virage, à l’écart du balcon réservé au public. Immédiatement, les retraités les plus proches se retournent, le visage fermé.
9h30
Délibération 5, toujours. « Je vais vous parler d’un autre article, de Var Matin, cette fois », annonce Laure Lavalette, une brune d’une quarantaine d’années et FN. « Ah, Var Matin », soupire le sénateur-maire. « La bible toulonnaise », confirme la frontiste. Qui attaque : « Vous nous dites que la rue Sémard sera dédiée à la culture et à l’art, mais il y a encore des trafics en tout genre. Le nouveau concept, c’est une toile achetée une dose offerte ? » Timides protestations de la majorité et Falco again : « Vous êtes dans votre logique, toujours en nuance. »
9h34
L’ancien sous-ministre repart dans un tunnel, enlève ses lunettes, multiplie les effets de manche, s’énerve. Puis finit par siffler la fin de la partie : « On s’est éloigné de la délibération 5… » Et pas qu’un peu.
9h41
Délibération 7, « Subventions aux associations et grands clubs sportifs ». Sophie Lebedel (PS) prend la parole. « Je voulais vous dire que je suis ravie de revenir et que je suis fière de succéder à Robert Alfonsi », fayotte la nouvelle conseillère. Et d’interroger : « Sur les subventions, les montants sont très différents, quels sont les critères ? Le haut niveau ? Le nombre de licenciés ? » De fait, les subs oscillent entre 16 000 euros pour le Toulon Var Escrime et 170 000 euros pour le Hyères Toulon Var Basket. Hubert Falco, martyrisant une nouvelle fois la table du conseil : « Il y a 4000 associations sportives sur la ville, dont certaines sont en élite […] On n’a jamais failli dans notre soutien. » La Chambre régionale des comptes peut en témoigner : à plusieurs reprises elle a tapé sur les doigts de l’ancien secrétaire d’Etat aux personnes âgées (période canicule mortelle) sur quelques libéralités en faveur du club phare de la ville, le Rugby Club Toulonnais, qui glane ce jour sa seconde sub de 100 000 euros de la saison…
9h43
Aline Bertrand, une jolie brune responsable du FNJ du Var, tente une ruade : « En effet, la question des critères d’attribution se pose. » Placage de Falco : « Mme Bertrand, nous on essaie de traiter la vie associative comme facteur de lien social, vous, vous avez des manières sélectives ! » La jeune frontiste ne cède pas, mais le maire a déjà passé le relais à son adjoint aux sports, « Michel ». « Michel » Bonnus présente surtout les discussions sur l’élaboration desdits critères. Qui à l’entendre vont prendre du temps…
9h58
Le conseil ronronne, mais ça devait gratter le sénateur LR. En réponse à une intervention de la revenante Sophie Lebedel sur une énième opération de rénovation urbaine, le maire de Toulon s’en prend au gouvernement qui lui a supprimé « 14 millions d’euros de dotation aux communes », lui « demande de faire toujours plus, comme sur les nouveaux rythmes scolaires » et lui a « levé » le caractère prioritaire à certains quartiers, supprimant par la même occasion des sources de financement. « On se bat ! », conclut Falco, toujours aussi agité, avant de grincer : « Je suis content que vous soyez revenue Madame Lebedel, vous êtes de retour à la réalité des affaires. » L’intéressée encaisse placidement.
10h06
Les choses s’enveniment à la dernière délibération (la 19), qui octroie des primes aux agents recenseurs. Aline Bertrand en profite pour ressortir sa bible (Var Matin) afin de pointer la baisse de la population (- 3000 habitants en cinq ans selon elle) et s’appuie sur les arguments en contestation d’Hubert Falco (méthode, agression d’agents dans certains quartiers) pour dégainer tout l’arsenal FN sur l’insécurité dans les banlieues. Extraits du sermon lepéniste : « Il existe bel et bien des zones de non-droits à Toulon ! », « la population fuit Toulon, cela pour plusieurs raisons dont, entre autres : l’insécurité ». Et de conclure : « Nous ne cesserons de dénoncer cet autisme ! »
10h09
Réponse de Falco : « Vous êtes tout en nuance. Je ne répondrai pas. » Mais le sénateur-maire ne peut s’empêcher et prolonge le plaisir en tapant sur les méthodes de recensement… décidées en 2004, lorsqu’il était dans le gouvernement Raffarin !
10h14
Après avoir pesté une dernière fois, Hubert Falco clôt la séance grand seigneur : « Allez, l’autiste vous remercie ! »
Jean-François Poupelin