L’art du moonwalk
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Et si le fonctionnement d’En Marche ! préfigurait ce qui va se passer dans les entreprises avec la réforme du code du travail ? Ainsi, dans le « 13 », la référente, Corinne Versini, une patronne aixoise que son entourage qualifie de « femme à poigne » et qui reconnaît elle-même « savoir trancher », a dû faire face à une véritable fronde : une cinquantaine d’animateurs locaux ont réclamé dans une pétition son départ ! [Ndlr Elle a été depuis reconduite, en novembre, pour trois ans comme « référente départementale ».[ Écoutez ici notre émission « la Grande Tchatche » qui lui est consacrée.->http://www.leravi.org/spip.php?article404]]
Or, comme l’explique un des signataires, Yves Delafon : « En Marche fonctionne comme une entreprise classique. Il y a un bureau exécutif et c’est lui qui désigne les responsables des "succursales". Alors, quand on est monté au créneau et fait un peu de bruit, la réponse a été brutale : "Fermez-là ou dégagez." On ne demande pas l’autogestion. Juste à être entendu. D’autant qu’EM ! va avoir besoin des artisans de la victoire. Sinon, on va à la catastrophe. Et il n’y a rien de pire qu’un déçu. »
Illustration avec un autre « marcheur » amer : « Il n’y a pas de débat. C’est très centralisé. Paris décide, on exécute. C’est pareil pour les députés. Leur seul rôle ? Voter ce qu’on leur propose. Regardez leur activité. Certes, ils débutent. Mais les Insoumis aussi. Et sur le terrain, à part ceux qui ont un peu de bouteille ou compris qu’il fallait y être, les députés EM ! sont absents. »
Un management à l’ancienne qui n’exclut pas un semblant de consultation. D’où une précarité généralisée. Le 2 septembre, Versini organise à Marseille une « réunion de travail » sur l’organisation interne. quatre jours plus tard, mail du pôle « Territoires » : « Nous lançons aujourd’hui le processus de désignation des référents pour les trois prochaines années. » Et d’inviter les adhérents à transmettre pour une désignation début octobre «au moins deux propositions de noms de référents ». Parmi ceux qui montent : Philippe Véran, suppléant du député salonais Jean-Marc Zulesi.
Les ratés du renouvellement
Si Versini assure qu’elle est toujours « référente » et ne voit là que l’application des « statuts », certains commencent à se contorsionner : «J’ai grand plaisir à travailler avec Corinne. Mais si quelqu’un d’autre est désigné, j’aurai plaisir à travailler avec. Mais pas question d’attendre la désignation définitive pour composer les équipes. » Et tandis que ses opposants commencent à sortir du bois, Versini, elle, avance à marche forcée. Une situation qui, pour le député macroniste de Gardanne François-Michel Lambert, est « tout sauf saine. Au lieu de prendre le temps du consensus, on passe en force. Et l’on crée des tensions ».
Au moment précis où, sur le terrain, le gouvernement aurait besoin de relais. Or, si le locataire de l’Élysée a promis de mettre le paquet sur la « formation », au sein de la sienne, c’est encore loin d’être la panacée. Certes, sur le site d’EM !, on trouve une rubrique « Transformer la France » et les animateurs ont reçu un « guide » pour « aider nos adhérents à comprendre, expliquer et soutenir la réforme du dialogue social ». Avec des « ateliers de mise en situation », un argumentaire pour répondre aux « objections » et une vidéo du porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner.
Mais, du papier à la réalité… La veille de la manifestation du 12 septembre, la députée marseillaise Cathy Racon-Bouzon visite, symbolique, une agence de Pôle Emploi. Pour dire son attachement au « retour à l’emploi » et sa préoccupation face à « l’urgence des contrats aidés ». De quoi susciter, sur Facebook, des commentaires peu amènes. Son suppléant, Yannis Roussel, dit ne guère s’intéresser « aux réseaux sociaux. On est suffisamment occupé à défendre la réforme du droit du travail. Même s’il y a forcément des gens contre, il faut être sur le terrain. Sinon, les seuls qu’on entend, ce sont les opposants ».
Le terrain, pour Zulesi, c’est LA priorité : « Je suis allé au forum des associations pour discuter des contrats aidés. On ne parvient pas forcément à convaincre. Mais, en faisant preuve d’écoute et de pédagogie, on arrive à faire retomber la tension. ». À Paris aussi, le député cravache dur : « Certains disent que le 1er mandat, c’est pour apprendre. Moi, j’ai voulu mettre les mains dans le cambouis et je me suis démené pour être rapporteur. »
Au regard du bilan des députés macronistes du coin, il fait plutôt figure d’exception. Lambert plaide l’indulgence : « Attendez, on n’a même pas 100 jours. » Le sociologue Jean Viard, candidat malheureux dans le Vaucluse, est plus prosaïque : « C’est comme en 58. Avec un tel renouvellement, il y a forcément des ratés. »
Réorganisation générale
Comme Macron, Viard compte sur « la formation ». À En Marche ! . Mais aussi et surtout dans le reste de la société. Même si, avec sa casquette de patron dans l’édition, il estime en substance qu’on ne peut faire de miracle : « Vous savez, les vieux chefs de fabrication qui n’avaient jamais touché un ordinateur, je ne les ai pas gardés ! » Mais ce spécialiste de la mobilité et du temps libre n’est avare ni de commentaire ni d’idée : « Après 50 ans, un policier ne peut plus courir après les voleurs. Mais il peut surveiller la cour d’un lycée ! »
Et de cracher : « En tout cas, ceux qui sont dans la rue, ce ne sont pas les salariés des PME à qui l’on veut redonner la parole. Bon, après, c’est vrai que dans une petite boîte, c’est compliqué de faire grève. Et mieux vaut ne pas se mettre à dos le patron. » Ce qui ne l’empêche pas de défendre bec et ongle la réforme : « C’est un rééquilibrage entre pouvoir politique et économique. En 81, il y a décentralisation du politique. Là, c’est la même chose au niveau des entreprises. C’est un pari de réorganisation. »
Las, pour Lambert, ce qui cloche, c’est qu’« on n’arrive pas à expliquer que tout cela s’inscrit dans une visée, un projet de transformation. On nous parle des contrats aidés. C’est sûr, c’est simple. Un contrat aidé, c’est on/off. C’est plus compliqué d’imaginer comment une structure qui remplit une mission de service public avec ce type de contrat peut se transformer pour faire autrement et être viable d’ici trois-quatre ans ». Et de citer en exemple « Coordination Sud », la plate-forme des ONG françaises de solidarité internationale qui, avant les élections, avait implicitement appelé à voter Macron. Sauf que, depuis, elle dénonce les coupes budgétaires du gouvernement pour les ONG…
Autant dire que tout cela risque, à l’image des sénatoriales, de se payer politiquement : « C’est sûr que, pour les municipales, soupire Viard, ça va être compliqué ». Qu’importe puisque la réorganisation est aussi politique. Avec la volonté d’en finir localement avec les « baronnies » (ce qui n’empêchera pas Versini de réunir ses troupes fin septembre dans une salle mise à disposition par un certain François Bernardini, le maire très divers d’Istres). Et, à terme, de réduire le « nombre de parlementaires ». Une perspective saluée par Zulesi : « En étant moins nombreux, on aura peut-être plus de moyens et on pourra mieux travailler. » A peine embauché et déjà prêt à être licencié : c’est beau comme un contrat de chantier !
Sébastien Boistel
Cette enquête a été publiée dans le Ravi n°155, daté octobre 2017.