L’armée pilonne les éoliennes
D’un côté, le projet de 14 éoliennes lancé en 2003 par la Communauté de communes Provence d’Argens Verdon (CCPAV) qui produiront 85 millions de kWh par an et répondront aux besoins en énergie de 35 500 personnes (chauffage compris) dans une région qui connaît de nombreuses coupures électriques. De l’autre, la base du Luc, toujours dans l’arrière-pays varois, au sein de l’espace militaire R95A dédié à l’entraînement à basse altitude de pilotes d’hélicoptère et qui n’est pas prête à lâcher les 70 hectares dont la Zone de développement éolien (ZDE) a besoin (sur les 252 000 que l’armée possède) pour voir tourner d’autres pales que celles de ses engins.
En effet, même si le projet des éoliennes des Pallières a recueilli l’aval de La DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) mais aussi de la Direction Générale de l’aviation civile et un avis favorable du commissaire enquêteur, le ministère de la défense s’y oppose et empêche l’obtention du permis de construire. Motif ? Il affirme que ses pilotes s’entraînent jour et nuit à 50 mètres du sol et que des éoliennes de 130 mètres représenteraient un danger. « Suite à l’absence de réponse du préfet, nous avons lancé un recours hiérarchique auprès des ministères de l’Industrie et de l’Écologie, indique Bernard de Boisgelin, président de la CCPAV. Ils ont jusqu’à mi-février pour nous répondre. Sinon, la suite c’est le recours contentieux, autrement dit le tribunal administratif. »
Un projet qui va pourtant dans le sens d’AGIR (1), du Grenelle de l’environnement et des accords de Kyoto. « Il s’agit d’un programme exemplaire, explique Bernard de Boisgelin. Il est unique en France au niveau de son financement et ouvrira la voie à d’autres projets similaires. » Si les éoliennes des Pallières tournoient un jour dans le ciel varois, elles seront alors les premières à appartenir majoritairement à des capitaux publics, la CCPAV ayant fait le choix de s’allier à la Compagnie nationale du Rhône (CNR) : « Nous avons choisi la CNR pour leur savoir-faire en matière de production d’énergies propres et parce que leur capital est majoritairement public avec GDF Suez pour actionnaire industriel de référence », insiste Bernard de Boisgelin. Ensemble, ils ont créé en 2010 la Société anonyme d’économie mixte locale (SAEML) qui est chargée de mener à bien le développement, le financement, la construction et l’exploitation du parc éolien des Pallières. De ce fait, les collectivités locales restent majoritaires au sein de cette société à hauteur de 51 %.
Une déferlante d’euros ?
Un projet à 30 millions d’euros, mais qui, selon ses promoteurs permettrait au territoire de ne pas seulement récupérer la fiscalité des entreprises, comme c’est le cas dans les sites privés éoliens, mais une somme supérieure évaluée à 800 000 euros par an. « Une somme conséquente pour de petites communes comme les nôtres (2), sinistrées industriellement et qui va nous permettre de créer des infrastructures comme des crèches, car c’est bien le but de la démarche », indique Bernard de Boisgelin, également maire (sans étiquette) de Saint-Martin-des-Pallières.
La Région est aussi partie prenante. « Ça fait partie de notre politique, on a donc financé en 2004 la moitié du cabinet d’étude, soit 200 000 euros, précise Philippe Chesneau, conseiller régional Europe Écologie Les Verts. En novembre, nous avons fait parvenir un courrier au ministre de la Défense, Bernard Longuet pour qu’il revienne sur sa décision. » Une opposition de La Grande Muette (3) que l’élu a du mal à comprendre : « Ils interdisent sans discuter pour une parcelle qui correspond à seulement 0,03 % de leur zone d’entraînement, alors qu’il existe des exemples pour lesquels la cohabitation est possible. C’est le cas de l’aéroport militaire de Hyères qui est sous-utilisé et autorise des avions civils à atterrir ou encore l’hôpital militaire de Toulon qui permet un accueil mixte. » Et il y a plus encore ! En 2008, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la défense, avait dit oui à un autre projet d’éoliennes sur les communes d’Ollières et Artigues porté à l’époque par une société privée Eco Delta (4). « Il s’agissait d’une entreprise spéculative dont le but est de faire de l’argent en revendant les permis de construire hors de prix, rien à voir avec notre projet à nous », indique Bernard de Boisgelin. Finalement cassé par le tribunal administratif, le projet n’a jamais vu le jour.
Ou un trou d’air démocratique ?
Les éoliennes des Pallières pourraient connaître le même sort. Et pas seulement à cause de l’armée ! Collines de Provence a déposé un recours contentieux (toujours en cours) auprès du même tribunal administratif. « Nous ne sommes pas des emmerdeurs comme on essaie de le faire croire, on est nous aussi pour le développement durable mais pas comme de la poudre aux yeux », tient à préciser Stéphane Arnaud, conseiller municipal (sans étiquette) de Seillons (dont le maire est favorable aux éoliennes) et président de l’association revendiquant 140 adhérents. « Le manque de concertation nous inquiète, poursuit Stéphane Arnaud. Le projet a débuté en 2003 et on s’est préoccupé de consulter la population seulement en 2009 ! La CNR est là pour endormir les culs-terreux que nous sommes. » À la lecture de la première enquête intitulée « projet de révision simplifiée du PLU » (2009), le commissaire enquêteur parle effectivement « d’un débat escamoté ».
Collines de Provence dénonce également certaines clauses opaques de la convention liant la commune de Seillons à la CN’AIR (filiale Air de la CNR). L’article 3 précise que « le propriétaire s’oblige irrévocablement à donner un bail emphytéotique à la société », un bail de 25 ans renouvelable une fois de façon « unilatérale » et sur lequel la commune de Seillons ne peut revenir. « Si la SAEML est dissoute nous passerons donc d’une société mixte à majorité publique à une société privée », s’alarme Stéphane Arnaud. Ce qui ne semble pas perturber Bernard de Boisgelin : « Il n’y a pas d’inquiétudes à avoir, si nous avons choisi la CNR, c’est justement parce que ses capitaux sont à majorité publics. »
Collines de Provence se questionne aussi sur l’intérêt même des éoliennes. « Ce n’est pas l’énergie propre la plus efficace pour diminuer l’effet de serre », juge Stéphane Arnaud. Ce à quoi l’écolo Philippe Chesneau répond : « C’est un débat farfelu ! Bien sûr que les éoliennes ne sont pas « la » solution surtout s’il n’y a pas une culture de l’économie d’énergie derrière, mais pour obtenir un développement soutenable, c’est-à-dire une solution d’avenir à un tarif intéressant, il faut toujours en passer par des compromis… » En attendant de brasser peut-être un jour du vent, les éoliennes des Pallières font parler d’elles…
Samantha Rouchard