Laissons passer les p’tits papiers !
La question des migrants, Mohamed Baadi la connaît bien. Imam à la cité Bassens, il a décidé de « venir en aide » aux migrants venant se présenter aux portes de la mosquée : collecte de vêtements, de médicaments et même « ouverture » de logements vacants, une vingtaine de familles étant ainsi hébergées sur Marseille. En outre, il récupère chaque semaine de la nourriture auprès des Restos du Cœur. Mais, comme le précise le directeur, Bernard Nos, « on ne peut donner que des colis de dépannage ». Car il faut… des papiers, le fameux sésame au bout de ce qui s’apparente, pour les migrants, à un véritable labyrinthe.
Au-delà de la barrière la plus évidente, celle de la langue, le pire, c’est l’arbitraire qui transforme la quête des migrants en parcours du combattant. Comme à la préfecture des Bouches-du-Rhône où mieux vaut dormir devant le bâtiment, rue Saint Sébastien à Marseille, si l’on veut faire partie de la poignée de personnes reçues le lendemain. En septembre, pour dénoncer cette situation, les associations de soutien aux migrants ont saisi la justice. En vain. Pourtant, pour Jean-Pierre Cavalié, de la Cimade (1), « ici, la charte Marianne relative à la question de l’accueil dans les administrations est foulée au pied ».
De surcroît, trop souvent, les étrangers n’obtiennent que des autorisations provisoires de séjour. « Des titres provisoires qu’il faut renouveler, déplore Elise Valois du Comede. Avec, à chaque fois, des taxes à payer. Et ce pour des personnes qui n’ont pas ou peu de revenus. Et qui, bien souvent, n’ont même pas le droit de travailler ! » Autre obstacle, que relève la juriste, la domiciliation : « La préfecture refuse les domiciliations auprès d’une association. Pour elle, il faut une « véritable » adresse. »
Or, pour les migrants, un toit, c’est un luxe. Car, dénonce Benedetta Badii, de la Fnars (2), « les structures d’hébergement sont insuffisantes. Et donc saturées ». D’où la mise en place, pour gérer les flux, de « critères » de priorité. Et un nombre très faible de places réservées aux demandeurs d’asile. Ce qui favorise, dixit Jean-Pierre Cavalié, « les squats, les marchands de sommeil ». Sans parler des migrants vivant dans la rue. Pourtant, ce ne sont pas les logements vacants qui manquent : d’après le dernier rapport de la fondation Abbé Pierre, on en compte plus de 7 % dans la région ! Comme nous le dira la candidate EELV-Front de gauche aux régionales, Sophie Camard : « La question des migrants met en lumière des situations anciennes. Rendez-vous compte : il y a en Paca plus de résidences secondaires que de logements sociaux ! »
Au-delà, ce qui frappe, c’est la faiblesse des moyens alloués aux dispositifs d’aide. En témoigne la situation alarmante de la plate-forme asile de Marseille. Ou les obstacles rencontrés par le collectif « Soutien migrants 13 ». Alors, quand on demande ce qu’il faudrait faire pour rendre ce système kafkaïen un peu plus vivable, Elise Valois hésite : « Dans l’absolu, je serais favorable à l’abolition des frontières. Mais, l’urgence, c’est de s’opposer au projet de suppression de l’aide médicale d’état que vient de voter le Sénat. » Pour son collègue de la Cimade, « l’essentiel, c’est la dignité, l’hospitalité ». Et d’asséner : « Vous savez, la barbarie n’est pas toujours sanglante. » Prophétique : c’était avant les attentats.
Véronique Fabiani & Fatiha Bensalah
1. Cimade : Comité inter-mouvements auprès des évacués. Comede : Comité médical pour les exilés. 2. Fnars : Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale.