L’aide sociale à l’enfance en souffrance
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Quatre mois après une grève reconductible et le dépôt d’une plainte, contre l’Etat et le Département, pour non assistance à personne en danger et violences volontaires, les personnels du service de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône sont encore en ébullition. Le 19 septembre, ils ont déposé un droit d’alerte. Objet de leur nouvelle colère : Martine Vassal, présidente LR de la collectivité, n’a selon eux tenu quasiment aucune de ses promesses écrites du 2 juin dernier. Un seul des dix postes annoncés a été voté et seules dix places d’hébergement sur les 70, dont 20 d’urgence, ont été ouvertes. Mais il s’agit de places pour ados redéployées vers les jeunes enfants. Le reste est renvoyé, au mieux, au début d’année. Les personnels réclament de leur côté respectivement 30 postes et 200 places…
Si un rendez-vous avec l’équipe de Martine Vassal devait avoir lieu le 6 octobre (1), pour la CGT et la FSU il y a plus qu’urgence. Depuis plusieurs années, les personnels dénoncent le manque de moyens pour remplir leurs missions de protection des enfants et jeunes majeurs en danger, d’accompagnement avec les familles, de prévention. L’aide sociale à l’enfance du CD 13, dont c’est une compétence obligatoire, manque de tout : personnels (éducateurs, psy, agents polyvalents, etc.), de moyens financiers, de familles d’accueil, de places d’hébergement. Les treize foyers de la direction de l’enfance et de la famille sont en sureffectifs permanents, des matelas sont installés au sol, des nouveaux nés restent dans les maternités, de jeunes enfants envoyés dans des foyers d’ados, des ordonnances de placement provisoire ne sont pas exécutées, les personnels croulent sous les dossiers, etc.
Maltraitance institutionnelle
« Il y a quelques années, on parlait d’ados incasables. Aujourd’hui, des enfants et des bébés sont également concernés. On est devenus des acteurs de la maltraitance des mineurs que nous devons aider et protéger », dénonce Valérie Marque, responsable de la section Solidarité de la CGT du CD 13. « On sait que pour les enfants, il faut la protection des liens avec la famille. Mais il faut aussi de la stabilité : celle du placement, quand il a été décidé, et du référent et de l’équipe. Désormais, on rajoute nos problèmes aux leurs », complète Claudine Amoros, élue FSU au conseil technique paritaire et éducatrice dans le 9ème arrondissement.
La situation n’est pas exclusive aux services du Département. Les associations agréées sont également proches de l’implosion. Financées par la collectivité et l’Etat, elles accueillent en foyer des mineurs ou jeunes majeurs placés et exécutent les mesures d’Action éducative en milieu ouvert (AEMO). « On n’est plus remplacé sur les congés ou les arrêts maladie. Les postes de surveillants de nuit disparaissent. Il faut toujours rappeler que faire une nuit seul est dangereux pour soi comme pour les gamins. Les lits d’urgence sont souvent transformés en place d’accueil permanent. Nos moyens d’intervention diminuent. Les accueils de jour manquent, etc. », témoigne Karine (2), éducatrice dans une structure « moyenne ». Cette trentenaire craint que ne restent finalement que les grosses associations, aux reins plus solides. « Si l’objectif c’est d’offrir un toit jusqu’à 18 ans pour avoir bonne conscience… Un foyer de 70 gamins, c’est quoi son projet éducatif ? On a passé 20 ans à se battre pour sortir des grandes unités, et on y revient ! », s’alarme-t-elle.
Enfants sacrifiés
Une hausse importante des besoins en hébergement aurait, selon la CGT et la FSU, fait exploser un équilibre déjà fragile. Les causes : la précarité croissante et ses effets psychosociaux, mais aussi la fin programmée des actions de prévention. « Il n’y a pas longtemps, il y avait une équipe dédiée pour chacune des 26 Maisons de la solidarité du département, aujourd’hui elles interviennent sur deux ou trois. Sans oublier le retrait des services publics de certains quartiers », dénonce encore Valérie Marque. « Il y a aussi une baisse significative des subventions aux associations de prévention », pointe également Michèle Rubirola, conseillère départementale d’opposition EELV.
En parallèle, le budget dédié à la protection de l’enfance a évolué au rythme de l’inflation selon les syndicats (128 millions d’euros en 2017). D’où le manque de moyens. Mais aussi la mise en place de politiques contestables mais financièrement intéressantes, comme la priorité donnée aux mesures de maintien à domicile. « C’est parfois suffisant, mais ça peut aussi être pathogène. Par contre, c’est deux fois moins cher qu’une place en foyer : 80 euros par jour contre 160 euros en moyenne », regrette Claudine Almoros de la FSU. « Dès la présentation du schéma départemental de l’aide à l’enfance en 2016, la nouvelle majorité parlait de rationaliser. Mais s’il y a un domaine où ça ne fonctionne pas, c’est celui de la solidarité », rappelle Claude Jorda, conseiller départemental PCF. « La majorité explique qu e les mineurs étrangers prennent les places de nos enfants, qu’ à cause des baisses des dotations de l’État, ils ne peuvent pas faire plus. Mais c’est une compétence obligatoire et on ne peut pas sacrifier des enfants », s’oppose de son côté l’écolo Michèle Rubirola.
Pourtant, Martine Vassal ne manque pas de moyens. Cette année, encore 141 millions d’euros ont été budgétés pour l’aide aux communes. Une ligne budgétaire discrétionnaire qui a fait la réputation de l’inénarrable Jean-Noël Guérini, son prédécesseur…
Jean-François Poupelin
1. Le Département n’a pas répondu à nos sollicitations.
2. À sa demande, le prénom a été changé.
Enquête publiée en octobre 2017 dans le Ravi n°155