La tête dans le guidon
Devenues un marché florissant, les sociétés de service de trottinettes électriques affluent à Marseille. Quatre entreprises – Lime, Flash, Tier et VOI – en ont déjà déployées plus de 2500. Toutes passent une convention d’un mois avec la mairie, avant une deuxième jusqu’en août 2019. A terme, trois acteurs pourront pérenniser une flotte de 2000 trottinettes maximum chacun. Un dossier entre les mains de Jean-Luc Ricca, conseiller municipal (Agir) délégué au stationnement et à la circulation : « C’est pas les fonctionnaires qui gèrent, c’est moi ! Enfin, les fonctionnaires m’aident beaucoup hein… » précise-t-il au Ravi.
Le coût, 1 euro plus 0,15 centimes/minute, soit 10 euros l’heure, demeure très supérieur à celui des transports en commun. « L’euro de déblocage me semble être un peu excessif », admet le conseiller délégué à la circulation. Cela n’entame en rien l’enthousiasme de nombreux élus marseillais. Saïd Ahamada, député LREM des quartiers nord, où Lime a installé son entrepôt, s’enorgueillit de voir les investissements « des grandes marques » dans sa ville. Lors de son implantation, Lime a accédé à la demande municipale d’embaucher 25 jeunes demandeurs d’emploi marseillais : « Tous en CDI » assure M. Ricca. « C’est très bien si les entreprises viennent et créent de l’emploi », abonde Samia Ghali, maire honoraire PS du 15/16, toujours au nord de Marseille, s’accommodant assez bien des nouveaux métiers ubérisés. « Ils existent, ils n’enlèvent de l’emploi à personne, ça pose plus de problèmes quand ils remplacent, par exemple avec une machine à la place de la caissière du supermarché », poursuit-elle.
Une réalité pourtant dénoncée par Rémi Lombardi de Solidaires étudiant.e.s : « L’ubérisation est une catastrophe pour la protection sociale, c’est l’auto-entreprise donc aucun statut et des salaires fluctuants. » Valentin Sanchez, président de l’Unef Aix-Marseille, pointe de son côté « ces nouveaux jobs où l’on ne peut pas prévoir si on va gagner assez ! Ce sont des métiers au-dessus du code du travail, ils exploitent beaucoup plus la vie. »
Si la firme américaine projette son modèle économique au travers de juicers, ce n’est pas le cas de toutes. La start-up berlinoise Tier – ses trottinettes sont disponibles depuis le 12 avril – opte, relativement, pour un modèle plus social. Ses engins sont rechargés et entretenus par les salariés d’un partenaire local : AAC Globe Express, fournissant une équipe de 12 personnes.
Si les trottinettes font fureur, elles sont surtout déployées dans le centre, proche des lieux touristiques. « Il n’y a pas de points de dépôt dans les quartiers nord », affirme Yanis, juicer, un chargeur de trottinettes (lire son portrait ci-dessus). « La majorité considère que la ville c’est le centre-ville ! » dénonce la sénatrice Ghali, militante d’un grand plan transport auquel les habitants seraient associés.
Les trottinettes en libre service, pourtant censées faciliter les déplacements, sont donc absentes des zones urbaines enclavées où elles sont parfois ramenées par des usagers mais jamais déposées par des juicers ni un opérateur, alors qu’elles sont très appréciées par les jeunes des quartiers… Paradoxe marseillais ? Un faux problème pour Jean-Luc Ricca, renvoyant la responsabilité aux maires de secteur et aux entreprises : « Si demain une société veut déployer des trottinettes sur la totalité du territoire marseillais, je n’y vois pas d’inconvénient. » Si, et seulement si…
Pierre Frasiak