La rocade L2 « enfume » les quartiers Nord marseillais
« Tu es au courant ? Quand la L2 sera finie, à la Benausse, vous ne pourrez pas ouvrir vos fenêtres plus de deux minutes en continu. » La scène se passe dans le local de l’amicale des locataires de la Busserine, dans le 14e arrondissement de Marseille. Militante associative, Karima Beriche veut faire réagir Samia, venue en voisine. Celle-ci habite le quartier voisin de La Benausse, deux tours qui surplombent le quartier du grand Saint-Barthélémy. Cet après-midi là, il est question de la conduite d’évacuation d’air qui doit bientôt être érigée entre les deux quartiers, sous les fenêtres de Samia. L’histoire des 2 minutes est la dernière rumeur qui circule.
Aujourd’hui, les deux cités de l’ancienne Zup n°1 sont séparées par une voie rapide, l’avenue Salvador Allende. Demain, à cet endroit, doit passer le tunnel de la future rocade L2, un demi-périphérique imaginé dans les années 30 et dont la partie Est est livrée aux voitures cet été.
Le Nord n’est pas l’Est
Durant les années 1990, les riverains du tronçon Est se sont battus pour obtenir la couverture de la plus grande partie de cette autoroute urbaine, avec un vaste parc urbain sis dessus. En ce temps-là, l’Etat était seul maître d’ouvrage et forcément plus enclin à entendre la parole des habitants fortement relayée par les élus. Faute d’argent, le même État a fini par interrompre le chantier avant même de démarrer la partie Nord. En 2013, il a confié le tout à Bouygues par le biais d’un partenariat public privé à plus de 700 millions d’euros pour finir la partie Est et réaliser le tronçon Nord qui doit être terminé en 2018.
Avec l’arrivée de la rocade L2, les quartiers Nord traversés étaient censés faire peau neuve. La dalle construite au-dessus de la rocade doit permettre « de recoudre les quartiers entre eux », vantaient les services de la rénovation urbaine à l’époque. Mais les habitants vivent surtout dans la poussière et les nuées de camions. « Les gens sont submergés par les problèmes liés au chantier et les rénovations en cours, explique Sid Abadli qui préside l’amicale des locataires de la Busserine. Ils ont réussi à se mobiliser pour obtenir des avancées sur les rénovations. Mais ils ont du mal à se projeter dans l’après. »
La voisine de la Benausse, Samia n’a jamais entendu parler de cette évacuation d’air. « Mais pourquoi ils ne nous disent rien ? Finalement, le logeur refait les façades pour qu’elles soient noircies par la pollution. » En fait, les 2 minutes d’air pur sont une galéjade. Mais de l’air pollué sortira bien de ce qui ne s’appelle pas une cheminée.
Il s’agit d’une trémie aéraulique. Un mot barbare pour définir une ouverture pratiquée dans le toit du tunnel et permettre l’évacuation de l’air. C’est une vaste ouverture de 70 mètres de long pour plusieurs mètres de large et au moins deux de haut. La réglementation née après l’accident du Mont-Blanc interdit les tunnels d’un seul tenant sans dispositif d’évacuation d’air.
70 mètres de longeur !
Mais le futur tunnel de la L2 n’en est pas vraiment un non plus. Il n’est pas souterrain mais constitue une tranchée couverte. C’est-à-dire un coffrage de béton au-dessus de l’actuelle avenue. À la Busserine, les parois commencent à s’élever, par endroit, à plusieurs dizaines de mètres au-dessus du sol. « On nous a toujours dit que la L2 devait permettre de passer d’un quartier à l’autre, avec des cheminements doux, raconte Marcelo Chapparo, le directeur de la maison des familles de l’autre côté. Mais, en attendant, ils sont en train de construire un mur devant chez nous. »
De fait, entre la Busserine et le haut du tunnel, la tranchée couverte devrait être 20 mètres au-dessus du sol avec, encore au-dessus, les 2 mètres de la trémie aéraulique. À cet endroit où la marche est la plus haute, rien ne pourra être fait à part un bâtiment avec deux murs sans fenêtre. Même si l’ouvrage est construit sur une pente, il forme une barrière entre les quartiers que la dalle était censée rapprocher. « Les concurrents de Bouygues proposaient de creuser sous la chaussée actuelle pour que l’ouvrage soit moins haut, raconte-t-on du côté de la Ville de Marseille. Mais Bouygues a emporté le marché avec un autre projet. Du coup, la tranchée va monter très haut. » La métropole et la Ville veulent obtenir un aménagement de l’ouvrage et de la trémie qui le surmonte. En la coupant d’une passerelle et en la dotant de dispositifs anti-bruit.
Représentante de la Ville de Marseille au sein du comité de pilotage, Arlette Fructus jure qu’elle compte bien poser la question de la trémie lors de la prochaine réunion. Mais, pour l’heure, l’État et la société de réalisation refusent de répondre à la moindre question et ne changent pas d’un iota le projet initial. De leur côté, Ville et Métropole traînent gentiment les pieds pour réaliser les travaux d’accompagnement. Le long de la partie basse de l’ouvrage, une « plaine ludo-sportive » doit permettre d’utiliser le talus pour des aménagements publics. Mais cet aménagement ne sera fait qu’une fois le tunnel construit. Et sur ça non plus, les habitants disent ne pas avoir été concertés.
Benoit Gilles (Marsactu)
Cette enquête a été publiée dans le Ravi n°142, daté juillet-août 2016