La révolte des Castafiores
« Vous en connaissez, vous, des footballeurs ou des rugbymen de 55 ans en CDI ? Comment voulez-vous gagner avec ça ! », Claude-Henri Bonnet, directeur de l’Opéra de Toulon n’y va pas de main morte pour évoquer les artistes de chœur – une douzaine – qui battent le pavé depuis plusieurs mois avec l’Union locale CGT afin de faire entendre leur opposition à sa politique artistique. « Monsieur Bonnet veut dépoussiérer l’Opéra et une partie des artistes prennent le coup de balai dans la gueule, note avec humour Robert Alfonsi, conseiller régional PS varois. Mais ce sont des gens sérieux qui défendent leur outil artistique. » L’élu est le seul à avoir répondu aux choristes inquiets de voir disparaître le corps de ballet et, dans son sillage, leur propre fonction.
« C’est simple, on est passé de 31 choristes à 22 en 10 ans, quand au corps de ballet il ne reste plus que 8 danseurs, explique Karine Hénot, en poste depuis 22 ans. Les opérettes, très populaires à Toulon, n’existent plus et le ballet résident aura disparu d’ici un an. Monsieur Bonnet veut faire un théâtre d’accueil avec un orchestre symphonique. Il se plaint d’avoir à charge un chœur vieillissant, mais il ne renouvelle pas les CDI ! On prend des intermittents à la place qui ne peuvent pas s’exprimer par peur de ne pas être rappelés. »
Administratifs en tutu
Le directeur, lui, revendique son répertoire : « Ces dames le savent très bien, personne ne sera licencié. Il n’y a que les grands opéras qui se permettent encore de garder un corps de ballet permanent dans leurs murs. En trente ans, les choses ont évolué, notamment avec l’apparition des ballets contemporains qui appartiennent à des compagnies indépendantes qui ont besoin de lieux… Quant à l’opérette, j’adore ça mais c’est dépassé et je ne peux pas me permettre de programmer des matinées avec une salle à moitié pleine, et le soir personne n’y assiste ! »
Les choristes dénoncent aussi 240 % de postes administratifs en plus en 10 ans au détriment de l’artistique. « C’est très dangereux, dans l’histoire on sait ce que ça donne quand les forces administratives sont toutes puissantes, ça muselle les gens. L’argent qui était donné aux artistes passe dans des postes de direction très bien payés », s’inquiète Josiane de Langenhagen, choriste en lutte. « Et ce sont des postes qui ne sont pas vraiment justifiés… », laisse sous-entendre une des rares employées administratives soutenant les artistes. « Ces dames ont oublié comment c’était avant 2003, à l’époque de monsieur Grinda, précise encore Claude-Henri Bonnet. Tellement il ne respectait ni la convention collective, ni le droit du travail, il a été condamné à payer 4 millions de francs d’arriérés, les gens n’avaient pas de contrats, d’autres étaient payés aux pourboires… c’était inimaginable ! Quand on est arrivé, on les a tous mis à douze mois et le personnel a été augmenté de 6 %. Il a fallu de l’administratif pour ça. Beaucoup de postes aussi sont des reconversions de danseurs. Et croyez-moi, ce n’est pas facile de recaser tout le monde ! »
Falco derrière le rideau
Ancien adjoint à la culture de la ville de Toulon et actuel conseiller municipal délégué aux grands équipements culturels, Claude-Henri Bonnet a pris ses fonctions en 2003. L’Opéra est alors passé d’un système de fermage à un Etablissement public de coopération culturelle (EPCC) géré par TPM, l’agglomération. Hubert Falco, sénateur-maire de Toulon (UMP), en est le président et membre de droit du conseil d’administration. « Certains ont jugé cette nomination limite à l’époque, mais comme l’Opéra c’est TPM et que monsieur Bonnet n’est pas conseiller communautaire, il s’en est sorti par une pirouette, se souvient Robert Alfonsi. Un préfet un peu rigoureux aurait pu trouver à redire… » Claude-Henri Bonnet ne voit aucune ambiguïté là-dedans : « Ce que me vaut ma proximité avec Hubert Falco ? Ben de me faire engueuler, voilà tout ! Je suis sous surveillance et il a bien raison ! Je plaisante, mais c’est quand même la seule agglo qui s’est donnée une compétence culturelle. »
Un budget de 8 millions d’euros par an est attribué à l’établissement par TPM et 1,6 millions par le Conseil général du Var. « Le reste ce sont des recettes propres. Et ça c’est la réalité des chiffres, qui n’ont rien à voir avec ceux fantaisistes qu’avancent mesdames Hénot et De Langenhagen ! », martèle le directeur. Les choristes, quant à elles, attendent avec impatience le rapport de la Chambre régionale des comptes sur l’agglo qui sera rendu public fin décembre…
Samantha Rouchard