La palme pour Total
Cet été doit ouvrir la flambante neuve « bioraffinerie » de Total à La Mède (13) après presque deux ans de reconversion et 250 millions d’euros d’investissement. Volontiers « greenwasheur », le géant mondial du pétrole a joué sa carte écolo en s’appuyant sur les huiles alimentaires usagées (HAU) – les restes des fourneaux. Pour produire 500 000 tonnes de biodiesel par an, il lui faut un approvisionnement de 650 000 tonnes de matières premières. Les HAU représenteront 40 % à en croire le groupe. Il a passé un partenariat avec Suez dans ce sens, qui doit à terme lui fournir 20 000 tonnes par an. Loin du compte…
« La collecte est très chronophage, il faut aller chercher des petites quantités par-ci par-là, les gros groupes ne savent pas faire, estime Alain Vigier, président d’Oléo declic à Marseille, qui collecte une cinquantaine d’HAU par an pour un usage thermique. La question est surtout de savoir où ils vont aller les chercher. On estime le gisement français à 170 000 tonnes, et ils ne sont pas les seuls à collecter ! C’est un projet en bois. »
Par mail, Total assure « comme [il l’a] toujours dit » que 60 % de l’approvisionnement se fera grâce aux huiles végétales : colza, tournesol, maïs, palme… Sauf qu’un rapport issu de la préfecture des Bouches-du-Rhône – qu’ont déniché Greenpeace et les Amis de la Terre mi-avril et dont le Ravi s’est procuré une copie – indique que Total importera tous les ans 450 000 tonnes d’huiles de palme brutes et 100 000 tonnes de résidus de cette même huile. A aucun moment le colza et autres ne sont mentionnés. L’usine tournera donc presque uniquement grâce à la palme alors même que Nicolas Hulot, ministre de l’Ecologie, et l’Union européenne se sont prononcés en faveur d’une interdiction de son importation pour ses effets, entre autres, sur la déforestation en Asie.
Mais palme ou pétrole, les mêmes réflexes subsistent : selon un article du Canard enchaîné publié en avril, la ministre des Armées s’est rendue en Malaisie, 2ème producteur d’huile de palme, pour l’assurer que la France s’opposerait à la position de l’Union européenne. Pourquoi ? Leur vendre des armes pardi ! « L’Etat est plus proche de Total que des syndicats, déplore Fabien Cros, secrétaire CGT à Total La Mède. Car, dans ce contexte, nous doutons de la pérennité du projet. » « Je suis estomaqué », complète François-Michel Lambert, député LREM de Gardanne, qui s’avoue « bien seul » au sein de la majorité dans la construction d’un discours écologique crédible. « Tout cela n’a pas de sens. Le politique lâche du lest, manque de courage car cela nous reviendra comme un boomerang dans quelques années. »
Clément Chassot
Analyse publiée dans le Ravi n°162, daté mai 2018
Le dessin de Red ! illustrant cet article a été diffusé dans le clin d’œil du Ravi pour une édition week-end de Marsactu