La Murette des lamentations
C’est une petite salle au cœur des quartiers sud d’Istres (13), qui, depuis des mois, défraye la chronique. A l’origine, un clip, « Tous à la Murette » qui, en juin, clame : « Tous solidaires pour faire sauter le maire / C‘est sûr personne nous aide / Encore moins la mairie. Répondez à nos besoins / Avant que la ville soit fleurie. » Le jugeant « insultant » et « diffamatoire », François Bernardini, le maire « divers gauche » qui a financé le clip, le fait aussitôt retirer du site municipal.
En septembre, l’association La Murette, à l’initiative du clip, aggrave son cas en prenant possession de la salle de la Prédina faisant office de centre social dans le quartier. Elle y organise en octobre, une réunion avec Jann-Marc Rouillan, ancien militant d’Action directe, pour évoquer Georges Ibrahim Abdallah, le chef présumé des Fractions armées révolutionnaires libanaises. « Profondément choqué », Bernardini réagit : « à l’heure où Istres s’emploie quotidiennement à créer les conditions d’une sérénité effective dans nos quartiers, il est regrettable que « La Murette » choisisse une voie diamétralement opposée. »
« Un maire manipulateur »
Depuis le maire n’a de cesse de reprendre la main sur le local qu’il avait longtemps délaissé. «Avant qu’on ne s’y investisse, il ne se passait plus grand chose dans cette salle qui dépendait du centre social des quartiers sud, soupire Michaël Attina, le président de l’association. Aujourd’hui, on voudrait en faire un pôle socio-culturel. Les jeunes ont les clés. C’est de l’autogestion. Mais ça, ça ne plaît pas trop à la mairie qui veut gérer le lieu en direct », Une reprise en main ? A voir…
En attendant, la Murette multiplie les projets : développer les espaces « potager », mettre en place un atelier « recyclage » mais aussi préparer « une pièce de théâtre qui parle d’un maire cynique, manipulateur… ». Au cabinet du maire, on s’agace de nos questions : « Il n’y a pas de traitement spécifique à l’égard de la Murette. On attend de connaître les créneaux dont ils ont besoin. Et, sur le clip comme sur Rouillan, on s’est déjà exprimés. »
Reste qu’au lendemain de notre coup de fil, le 16 janvier matin, les services techniques ont débarqué au centre social pour changer les serrures. « Ils veulent interdire, par sécurité, qu’il y ait plus de 19 personnes », déplore Michaël Attina. Qui réclame une « table ronde avec la mairie et le centre social. Il n’est pas question qu’on se contente d’un ou deux créneaux dans la semaine ! » Le même jour en soirée, la Murette a remis le couvert en faisant venir à nouveau Rouillan pour un état des lieux… du système carcéral. Et d’aucuns de se souvenir de ces affiches, qui ont fleuri nuitamment sur les murs pour clamer : « 2012, Ben Ali, le peuple l’a fait. 2014, Bernardini, le peuple peut le faire… »
« Un véritable jeunocide »
A Istres, on n’est guère surpris par ces tensions. « Ici, c’est très binaire. Qui n’est pas avec moi, est contre moi », lâche un opposant de Bernardini. Or, Michaël Attina a soutenu aux dernières législatives Adil Fajry, un travailleur social qui a osé se présenter, pour le NPA, contre sa patronne, Nicole Joulia, la première adjointe de Bernardini. Mais le jeune homme assure n’être encarté nulle part : « Pour moi, les élections, ce n’est pas une fin en soi. Ce qui compte, c’est de semer une graine. » Au risque de récolter la tempête ?
Salim Djerary, candidat EELV aux dernières législatives, connaît bien les quartiers sud d’Istres : « Ce qui s’y passe, est un véritable « jeunocide ». Et pourtant, ces jeunes ont de l’énergie à revendre. Mieux vaudrait la canaliser plutôt que de chercher à acheter la paix sociale. D’autant que pour des travailleurs sociaux, des jeunes qui ont des projets, c’est du pain béni ! » En attendant l’ouverture, fin février, d’un « espace jeune » au centre social des quartiers sud, on nous confirme que désormais, les clés de la salle de la Prédina seront à la mairie annexe.
Commentaire désabusé de Michaël Attina : « Si je portais le même projet à Martigues, j’aurais tous les appuis possibles. » Ce qui fait dire à Véronique Granier, du NPA : « Face à une association qui ne réclame rien, sinon de disposer d’une salle, la position de la mairie est incompréhensible. A moins qu’il ne s’agisse, face aux scores du FN, d’agiter le spectre de "sauvageons"… »
Lors de ses vœux aux quartiers sud (1), François Bernardini a affiché la couleur : implantation de Pôle Emploi « allée de la Solidarité », réouverture du poste de police municipale et mise en place de la vidéosurveillance. Dans le même temps, le reste de la ville aura droit à des abribus signés par l’artiste Ben et la cité administrative verra officier le maître ès colonnes Buren !
Sébastien Boistel