La maire d’Avignon fait son festival
Avignon, terre du plus important festival de théâtre international, ville de culture… Ce n’est pas suffisant à en croire la maire, Cécile Helle (PS, élue en 2014) puisqu’elle a lancé en mars dernier « un nouveau programme d’accompagnement du secteur culturel », « une ambition pour la ville ». Mais ces annonces suivent d’autres décisions (1). En 2015, la ville avait déjà réduit sa participation au festival d’Avignon de 50 000 euros sur environ 1 million d’euros. Ce qui a contraint, lié par une convention avec la ville, le Grand Avignon à baisser la sienne du même montant en 2016. Même si le directeur du festival assure entretenir « de bons rapports avec les tutelles locales et notamment Cécile Helle », il « désapprouve cette baisse de subventions ». Et Olivier Py (lire aussi notre Grande Tchatche page 13) de questionner : « 50 000 euros, une goutte d’eau, avance Cécile Helle. Alors pourquoi nous mettre en péril ? » Sans oublier de rappeler que le festival – et la culture en général – c’est 6 euros de retombées pour un euro investi…
Cette « nouvelle ambition », Cécile Helle la veut populaire. La culture pour tous dans une ville coupée en deux par les remparts. Sur le papier que de bonnes intentions. Etrange tout de même quand on baisse d’environ 10 % puis de 5 % les crédits au subventionnement de la culture, une réduction justifiée par la diminution des dotations de l’Etat. Concrètement, le nouveau dispositif prévoit, au détriment des structures conventionnées, la mise en place d’un appel à projets pour « les pépites culturelles » doté de 80 000 euros (5 000 euros maximum par projet) et la mise en place d’un pass culture pour les moins de 26 ans.
Helle secoue donc le cocotier d’un secteur primordial pour la ville et surtout électoralement compatible. Les baisses de subventions pour les grosses structures ne passent pas pour tout le monde, surtout pour Gérard Gélas, le directeur d’un théâtre emblématique et parmi les plus subventionnés, le Chêne noir. Le metteur en scène est monté au créneau pour dire tout le mal qu’il pensait de la deuxième baisse consécutive de subventions pour son théâtre, regrettant que « tous ne soient pas logés à la même enseigne ». Et Gélas de plaider sur le fait que ce que promeut la mairie, les actions périscolaires ou dans les quartiers populaires, il le fait déjà depuis longtemps…
Le changement de politique municipale est pourtant apprécié par d’autres. « Cet appel à projets peut faire du bien aux petites compagnies, peut redynamiser le tissu culturel local, explique Damien Baillé, jeune directeur de Surikat productions. Même si 5 000 ce n’est pas beaucoup, cela peut aider. Le système des subventions des collectivités locales est un peu biaisé. Il y a du copinage. Ce sont toujours les mêmes structures qui en profitent. Mais il ne faut pas tomber dans le piège d’une vaine confrontation entre acteurs culturels. » Surikat productions, un « bureau d’inventions culturelles », organise le festival Emergences pour promouvoir les jeunes artistes locaux. Il va lancer l’année prochaine un prometteur festival d’arts de la rue, Prenez place(s).
Sébastien Benedetto, directeur du théâtre des Carmes, qui reçoit beaucoup de petites compagnies en résidence, se félicite plutôt, lui aussi, des nouvelles orientations : « L’appel à projets peut être intéressant pour des structures émergentes qui ne demandent pas de subventions parce que c’est compliqué, qu’il faut montrer patte blanche. Maintenant, voyons la mise en place. Et il ne faut pas non plus dénigrer "les gros". Certains ne s’en rendent peut-être plus compte mais ils font un boulot énorme… » Arrivé il y a un an à la tête du théâtre des Doms, une structure financée par la fédération Wallonie-Bruxelles, Alain Coffino Gomez estime également « que sur le papier c’est plutôt intéressant, les missions avancées sont nobles. Maintenant la mairie se désengage partiellement… Et je me questionne aussi sur l’avenir des projets structurants à trois ou quatre ans… »
D’autres sont vent debout contre le principe même d’un appel à projets. Comme Guigou Chenevier, de la compagnie musicale Inouï : « C’est un foutage de gueule total ! C’est un retournement scandaleux de l’esprit de création. Avant, on arrivait avec un projet, réfléchi. Là il faut entrer dans les clous, quels qu’ils soient. La notion de création artistique n’existe plus. Et cela va favoriser la concurrence car l’enveloppe est mince. Cela incite à la mutualisation et, in fine, l’objectif est encore de diminuer les crédits… »
Ce que concède Caherine Bugeon, ancienne adjointe à la culture, démissionnaire en septembre 2015 et toujours pas remplacée : « Je respecte Cécile Helle pour ce qu’elle est, une femme de conviction. Mais je me suis aperçue qu’il n’était pas possible d’engager ce qui était promis, c’est-à-dire faire rayonner Avignon à l’international grâce à la culture. » De son côté, Michèle Addala, directrice de la compagnie de danse Mise en scène installée dans le quartier de Monclar, tient à rappeler qu’il ne faut pas uniquement se reposer sur les institutionnels : « On n’a jamais rien attendu de personne même quand on était dans la galère. Maintenant j’espère que ça va faire bouger les lignes. Il n’y a pas que le festival, il faut que la culture soit vivante toute l’année. » Un avis sûrement partagé par les élèves de l’école d’art d’Avignon : elle est menacée de fermeture, l’an prochain, pour des manques de crédits et une gestion erratique. La ville, avec l’Etat, en est la principale tutelle…
Clément Chassot
1. Ni Cécile Helle, ni son cabinet n’ont donné suite à nos demandes d’entretien.
Enquête publié dans le Ravi n°142 daté juillet-août 2016