La galère au vert
Le calme, l’odeur de terre, les routes départementales… Ah, la campagne ! Propice pour changer d’air, elle permet à des personnes en difficultés sociales de se mettre au vert. Comme dans ce petit bout du Lubéron, à la Bergerie de Berdine, petit hameau entièrement retapé sur la commune de Saint-Martin-en-Castillon qui accueille un public souffrant d’addiction. Les imposantes pierres de ce véritable petit village ont vu défiler 6 000 personnes, accueillis pour 6 mois minimum, depuis sa fondation en 1973 par Josiane Saint-Pierre et Henri Catta. Le hameau fonctionne presque en autofinancement (avec une petite aide financière de l’Etat !) grâce à son activité agricole (maraîchage élevage, apiculture), sa scierie ou son artisanat (poterie, fromagerie…). « Une vie simple, dans la nature… », stipule le livret d’accueil de Berdine.
Ces lieux d’accueil informels, qui ne sont pas estampillés CHRS (1) par exemple, l’association Voisins et citoyens en Méditerranée (VCM) en dénombre une quinzaine sur l’arc méditerranéen, de Nice à Perpignan. « On en découvre tous les jours », sourit Serge Davin, administrateur de cette association, un « réseau d’initiatives de solidarité et d’entraide qui luttent contre la pauvreté et la précarité ». Ce n’est pas sa seule activité mais VCM se charge d’animer ce petit monde avec le but de « mettre en relation, de soutenir, de faire connaître ».
Berdine donc, le Mas de Carles à Pujaut (30), Vogue la galère à Aubagne (13)… L’association organise 5 à 6 fois par an des réunions où tous les lieux sont représentés. « Ils sont très souvent créés par des gens en difficulté eux-mêmes et qui ne sont pas financés. C’est le système D, explique Serge Davin. C’est assez paradoxal car les pouvoirs publics s’impliquent peu mais sont bien contents qu’ils existent… Ce sont des structures connues mais pas reconnues. » Il souligne également que ceux qui les composent y restent longtemps, parfois à vie. Certains sont marginaux, tous attachés à la vie rurale. Pour l’administrateur, la seule issue possible pour les occupants de ces lieux de vie reste l’insertion professionnelle et souligne que leur activité forge de véritables compétences agricoles, techniques (mécanicien…), artisanales ou encore dans les métiers du social.
D’autres structures, plus « classiques » parce qu’elles rentrent dans des cases administratives, ont aussi investi le milieu rural. Comme Porte accueil à Sainte-Tulle, près de Manosque (04). Ce « groupement d’économie solidaire » rassemble plusieurs associations avec deux grandes ambitions. Le logement d’abord, avec 3 places en hébergement d’urgence (pour 15 jours maximum) et 22 places en hébergement d’insertion où les accueillis restent en moyenne 6 mois. Puis le pôle réinsertion par l’activité économique : Porte accueil s’occupe depuis 2007 de la ressourcerie de Haute-Provence.
Porte accueil ne recevait auparavant qu’un public masculin. « Mais on a évolué, on s’est adapté, explique Bernard Elefterakis, le directeur général. De plus en plus de femmes se retrouvent en situation de grande précarité sociale. Il y a aussi de plus en plus de jeunes, souvent en rupture avec leur famille et de plus de 65 ans, des retraités pauvres. On ne retrouve pas à la campagne le même type de public qu’en ville avec de grands marginaux en errance. Mais c’est vrai qu’on passe moins inaperçu, on peut vite se retrouver "grillé" si on a un mauvais comportement et on reste difficilement anonyme. » Bernard Elefterakis insiste aussi sur la solidarité qui règne en milieu rural, notamment concernant la mobilité, point crucial pour rechercher un emploi, et une bonne acceptation des riverains face à un public parfois stigmatisé. Porte accueil cherche encore à diversifier son activité, en partie pour garder une santé financière parfois fragile, et compte ouvrir en 2017 une résidence d’accueil pour les handicaps psychiques de 30 places. Quitte à devenir fou, si on ne l’est pas déjà tous un peu, autant l’être pépère à la campagne.
Clément Chassot
1. Centre d’hébergement et de réinsertion sociale