La face cachée du foot marseillais
Il n’y a pas que le football professionnel dans la vie, il y a le monde amateur aussi. Même à Marseille, où l’OM accapare toutes les attentions. Et certains se verraient bien sortir de l’ombre comme le charismatique président du Groupe sportif Consolat, Jean-Luc Mingallon, aux commandes du club depuis 30 ans, à une époque où il évoluait dans la plus petite des divisions. Il reçoit au beau milieu de la cité éponyme de Consolat, dans le 15ème arrondissement, juste après la sieste. C’est mercredi après-midi. Un groupe de jeunes s’entraîne sur un terrain synthétique bordé de barres d’immeubles, d’autres minots jouent au foot contre un mur tandis que quelques mamans sont assises près du petit local d’entraînement. Et une équipe de télé allemande, la ZDF, est également dans les parages.
C’est que l’équipe première, en National (troisième division), est en passe de réaliser un exploit : accéder à la ligue 2, le Graal professionnel, avec le plus petit budget de la division, 600 000 euros. En passe, car très longtemps sur le podium, le club est maintenant 4ème et pourrait voir ses espoirs douchés après une série de défaites (1). Le secret de la réussite ? « Les joueurs sont majoritairement du quartier, ils veulent le mettre en avant. Tout le monde ici travaille très dur, dans des conditions difficiles. » Jean-Luc Mingallon loue également les services de son entraîneur, Nicolas Usaï, lui aussi passé par Consolat avant d’avoir failli être professionnel à l’OM : « Il est de la maison et ça c’est très important. » La montée en Ligue 2, une consécration ? « Non, la consécration, c’est la Ligue des Champions, lâche, sans même plaisanter, le président. Il y a toujours une étape de plus. »
Ambitieux, le Sporting Air Bel l’est aussi. Autre club de quartier, au Sud de Marseille cette fois, dans le 11ème arrondissement. Mais dans un autre registre, la formation : « On ne peut pas tout faire à la fois », estime Chaib Draoui, le président. Ses équipes de jeunes (jusqu’à 18 ans) évoluent toutes ou presque au plus haut niveau. Vivier du foot français, le club a fait le buzz en 2015 quand Chelsea, un ogre anglais du football européen, a choisi d’enrôler à ses 16 ans Naouir Ahamada, un minot du cru. « Chez nous ce qui compte le plus, ce sont les valeurs : le partage, le respect, poursuit Draoui. Ici, tous les petits te diront bonjour. Et la mixité sociale. On est un club d’élite pour la formation, mais on n’oublie pas d’où on vient, le rôle social que le club peut jouer. »
Dalin Anrisfani, 21 ans, un ancien du club qui habite toujours la cité d’Air Bel, est aujourd’hui éducateur auprès des moins de 10 ans. Le discours est le même : « je suis là pour leur montrer l’importance du respect, l’esprit d’équipe, le sérieux… Le club a changé, il dispose d’un grand pouvoir d’attraction. Certains parents emmènent leur petit depuis Toulon ou Avignon… On est aussi là pour qu’ils gardent les pieds sur terre. » Ce serait donc ça le secret, plus un président à grande réputation, qui sait jouer de ses réseaux. « Marseille, c’est une ville particulière, il faut connaître du monde », avoue Chaib Draoui.
L’OM n’a pas de relations officielles avec le club et Chaib Draoui aimerait être un peu plus considéré par la vitrine du foot marseillais « même si je sais que c’est compliqué. Du coup, j’ai de meilleures relations avec d’autres grands clubs français ». Son alter ego du Nord, Jean-Luc Mingallon est plus direct : « Nous n’avons aucune relation avec l’OM. Ils n’ont aucun respect pour le foot amateur et tentent de voler les petits en cachette, en allant directement voir les parents sans nous prévenir. Par exemple un de nos joueurs en National l’année dernière a fini meilleur buteur. Niort proposait 80 000 euros, l’OM zéro… Il existe chez eux un gros problème d’ego et de formation. »
L’entraînement se poursuit, les discussions entre habitants aussi. « On est tous et toutes fiers du club. Je me régale dans ma cuisine quand j’entends le bruit monter du stade », s’émeut Nana, une mamie qui parait-il est l’une des plus grandes supportrices. Ce club est un catalyseur dans la cité, un lieu de rendez-vous et il est aussi créateur d’emplois : éducateurs, femmes de ménage, comptable…. Une montée en Ligue 2, aussi périlleuse soit-elle, est donc ici fantasmée. Les quartiers Nord dans l’élite ? Et pourquoi pas.
Clément Chassot
1. Lors de notre bouclage, il restait un seul match à jouer et une qualification pour la Ligue 2 semblait compromise.
Cet article a été publié dans le Ravi n°141 en juin 2016