La culture emmerde (ou pas) le Front national
Non ce n’est pas la berlue : les candidats socialistes aux élections régionales, Christophe Castaner et Christophe Madrolle , en pleine session graffiti sur les murs de la Friche de la Belle de Mai à Marseille. Les délinquants peignent un point rouge. Ces « deux points rouges sur une toile » qui permettent « à dix bobos de [faire] semblant de s’émerveiller », dixit Marion Maréchal (nous voilà) Le Pen. Une campagne électorale prétexte à une attaque en règle de cette culture que le FN juge subversive : l’extrême droite a même manifesté, en septembre, contre une exposition de la Friche de la Belle de Mai jugée « pédopornographique ».
En réaction, le directeur de la Friche a programmé une journée symbolique, le 28 novembre, intitulée « Prière de déranger », relayant la publication d’un manifeste « De la nécessité des points rouges » signé par de nombreux artistes ou acteurs culturels. « On ne peut pas transiger sur la liberté de création, de transgression, décrypte Alain Arnaudet. Cela revient à jalonner la pensée de chacun et donc celle des générations futures. »
Le 23 novembre, l’association de médiation artistique Les têtes de l’art organisait un débat, avec la complicité du Ravi, intitulé « comment vivre la culture sous le Front National ? ». Son directeur Sam Khebizi déplore qu’une partie du secteur culturel « soit sur des non-propositions de position ou alors ambiguës, pas assez frontales : on ne nomme pas l’ennemi ». Il n’est pas tendre avec la politique des partis de gauche ce qui ne l’ « empêche pas de savoir contre quoi je dois me battre ».
Subs ou pas subs ?
Sur la question épineuse des subventions – revendiquer ou non de l’argent public géré par un parti sectaire – Sam Khebizi est clair : « c’est un débat légitime mais il y a une frontière à ne pas dépasser. Attention, car ce serait quelque part rentrer dans la stratégie du FN ! » Alain Arnaudet lui, botte en touche : « je ne sais pas, ce serait au conseil d’administration de trancher, qui d’ailleurs est composé d’un élu de la région. » Au théâtre Liberté à Toulon, présidé par Charles Berling, on ne se pose même pas la question : « Nous savons déjà quelle serait leur réponse », rit jaune Pascale Boeglin-Rodier, directrice générale, qui indique recevoir de la région 100 000 euros sur un budget de 4 millions.
Si le théâtre n’a pas pris de position médiatique sur ce « sujet délicat », on préfère « faire barrage au quotidien ». Tout comme Didier Le Corre, directeur de la Garance, la scène nationale de Cavaillon (84) qui, sans engager le lieu, a pris personnellement position contre le FN dans ses éditoriaux : « un théâtre est un lieu de dialogue et de rencontre. Il faut donc pouvoir laisser la parole à tout le monde, même si je ne cache pas mes opinions lors de ces débats. »
Toujours en Vaucluse, un acteur culturel a passé le pas pour s’engager directement en politique : Emmanuel Sérafini, directeur du centre de développement chorégraphique Les Hivernales, est tête de liste pour la liste Région coopérative (écologistes et Front de gauche). Le combat contre le FN est la raison principale de l’engagement de ce fils d’immigré italien qui a jugé que pour être véritablement efficace contre la propagation des idées d’extrême droite, il fallait faire de la politique. Sans généraliser, il porte un regard critique « sur certaines personnes importantes du milieu culturel avignonnais qui pourraient monter au créneau » mais qui ne le font pas par peur d’insulter l’avenir. A l’opposé de l’attentisme, Olivier Py, directeur du festival d’Avignon, multiplie, depuis les municipales, tribunes et déclarations pour mobiliser contre le FN…
Asile culturel
Certains artistes régionaux se positionnent aussi personnellement, comme Imhotep, l’architecte musical d’IAM, soutien de la liste Région coopérative. Mais même s’il veut faire barrage au FN, il rappelle que « les artistes ne sont pas des militants » et que « 40 ans de prise de position publique peuvent être balayés en une minute de journal de TF1 ». Que pense-t-il de cette douce impression que les artistes sont moins véhéments que dans le passé ? « Le rap engagé n’est pas diffusé comme le commercial, déplore Imhotep. Il faut aussi chercher une responsabilité dans les médias. Si Kenny Arkana était invitée aussi souvent que Mme Le Pen sur les plateaux, on penserait autrement. Mais le ravalement de façade du FN a dupé les plus naïfs. »
Papet J, de longue date engagé contre le FN, aimerait que ceux qui l’écoutent aillent voter : « Je ne veux pas donner de leçons mais ne pas être contre ni pour, rester attentiste est une position dangereuse, affirme l’un des piliers du Massilia Sound System. Allez parler à vos parents, à vos amis… » Et le MC d’appeler à aller aux urnes : « Les français jouent aux cons et vont finir par gagner ! »
Enfin, à Fréjus, certains artistes ont déjà dû réagir, un an et demi après l’élection du jeune loup du FN, David Rachline. Une nouvelle convention oblige en effet les artistes aidés par la mairie à assurer gratuitement les activités périscolaires… Une quinzaine d’entre eux ont cherché l’asile à Saint-Raphaël où le maire LR Georges Ginesta leur a tendu les bras, comme Olivier Isselin, photographe plasticien : « Nous n’avons pas l’impression d’avoir été récupérés. On nous laisse notre liberté de création et c’est primordial. » En cas de victoire de Maréchal (nous voilà) Le Pen en Paca, il n’y a donc plus qu’à demander l’asile culturel à Laurent Wauquiez dans la région Rhône-Alpes-Auvergne !
Clément Chassot
Article publié dans le Ravi n°135 en décembre 2015
Pour visionner la table ronde « Vivre la culture sous le FN » animée par le Ravi, c’est ici