« Là, ça va chauffer »
17h35
« Dépêchez-vous de monter, va y avoir du monde», nous prévient le policier devant la mairie. Serait-ce parce que la maire sortante (depuis les élections en mars 2014 elle siège dans l’opposition), Suzanne Maurel-Chordi (PS), veut faire voter, à la veille du premier tour des municipales, un PLU qui sent le souffre ?
17h37
En apprenant la présence du Ravi, la maire, avec sa bouille de mamie gâteau ayant piqué un costume à « Prince », se pâme. Ses premiers pas à la CPA (Communauté du pays d’Aix) ayant été relatés il y a deux numéros, c’est presque une habituée. « C’est vous qui faites les dessins ? », minaude-t-elle. Avant de siffler : « C’est l’opposition qui vous a prévenu, n’est-ce pas ? C’est sûr qu’avec le PLU, ça leur fait un os à ronger…»
17h38
On refuse la table qui nous est proposé, préférant récupérer le dossier d’ordinaire réservé au correspondant de La Provence. Rond et bonhomme, il connaît tout le monde. Et pour cause : « Avant La Provence, j’ai bossé 25 ans pour Madame le maire ! »
17h55
Après avoir demandé à son ancienne patronne s’il peut la prendre en photo, notre collègue soumet le cliché à l’édile. C’est adopté.
18h00
La séance est ouverte. Fraîchement convertie à l’écologie (elle vient d’adhérer à EELV), Hélène Gaillard fait l’appel. Et ne fera rien d’autre.
18h02
Costume noir, moustache de Zorro et l’air un peu penaud, Michel Ruiz (DVG), le patron de l’opposition (maire depuis les élections de mars 2014), arrive. En retard.
18h05
A l’occasion du « débat d’orientation budgétaire pour 2014 », la maire en profite pour rappeler, outre quelques projets, que la dette n’est que de « 53 euros par habitant contre 951 en moyenne ». Et de promettre « une baisse de la taxe d’habitation pour compenser la taxe de collecte des ordures de la CPA ». Ruiz improvise : « Cette baisse de la taxe d’habitation, ça ne sera que pour un an, c’est pas acquis ! » Jean-Luc Turzo, son bras droit, embraye : «Avec le transfert à la CPA des deux agents chargés des ordures, vous économisez 60 000 euros ?! Sacrés salaires… »
18h10
Vieux barbu à lunettes, Gérard Hemmerdinger entre en piste. L’adjoint à l’urbanisme s’échauffe avec « l’opération façade », un coup de main de 600 euros pour quelques coups de pinceaux. Et poursuit avec la vente de terrains situés en « espace boisé classé ». Ruiz, à l’attaque : « La commune est prospère. Pourquoi vendre ces terrains ? Pour faire rentrer plus d’argent ? » La réplique est cinglante : « Non. Pour permettre à des entreprises de s’agrandir et de créer de l’emploi », crache l’adjoint. La maire enfonce le clou : « C’est une zone d’activité. Ce sont des terrains qui, depuis le début, sont destinés à être vendus à des entreprises… » Pascal Cortejo sort une carte : « Vous nous parlez de terrains enclavés. Mais, ils sont les uns à côté des autres… » La maire s’agace : « C’est quoi le sujet ? Il est où, le problème ? Exprime-toi correctement si tu veux qu’on te comprenne ! »
18h30
Peut-être pour détendre l’atmosphère, Guy Savant, adjoint à l’environnement, sosie bouffi de Nelson Montfort, rappelle que Gréasque aime à ce point la nature qu’elle demande « 3 750 euros » au CG 13 pour entretenir sa forêt. « Et la CPA, elle participe ? », lance Pascal Cortejo, conseiller d’opposition. Savant, jovial : « Oui, mais pas pour ça ». Jean-Claude Hernandez, moins diplomate : « C’est pas de sa compétence, à la CPA ! »
18h40
La Provence se réveille : « Ça y est, là, ça va chauffer… » La discussion sur le PLU va commencer !
18h41
La maire ouvre les hostilités : « La présence d’un public nombreux témoigne de l’importance de la délibération à venir. L’approbation du PLU est le terme final d’un long processus. L’aboutissement d’un travail mené depuis cinq ans qui a été tout sauf bâclé comme on a pu le lire ». […] Contrairement à ce que certains prétendent, les Gréasquéens ont été associés à ce travail. » Et d’évoquer les « réunions publiques », les expositions, le site internet… Rappelant que « même Aix n’a pas de PLU ». Pour elle, « finaliser le PLU avant la fin du mandat, c’est respecter nos engagements mais surtout protéger notre territoire ». Car, pour l’édile, reporter son approbation, ce serait « ouvrir la possibilité pour les services de l’Etat et les services intercommunaux demain de mener une autre analyse ». Et d’asséner : « La campagne électorale ne doit pas être l’occasion de jouer aux apprentis sorciers. »
18h45
Réplique de Ruiz. « Nous, on se demande pourquoi vouloir à tout prix faire adopter le PLU avant les élections. Vous avez cité Aix. Or, même à Aix, la maire sortante n’a pas voulu faire du PLU un argument électoraliste. Vous parlez des réunions publiques, or, sur la question des inondations, les réunions n’ont été publiques que parce que les habitants se sont manifestés. » Et de conclure : « Enfin, dans les documents que vous nous avez transmis, il y a des irrégularités. Comme ces ruisseaux en zone boisée qui, tout d’un coup, disparaissent dans des zones blanches. Comme s’ils s’étaient évaporés. A moins qu’ils ne se soient transformés en rivière souterraine…» La maire se retourne vers son directeur général des services et son assistante : « C’est quoi cette histoire ?! » Le Plu est adopté.
18h50
Pendant que l’adjointe à la petite enfance cause rythmes scolaires et activités périscolaires, autour du maire, ça s’agite. C’est quoi, ces ruisseaux qui ont disparu ? L’assistante du DGS a sorti les cartes. La maire s’en empare, les tourne dans tous les sens.
18h57
Une élue arrive largement après la bataille. La maire n’en a cure. Ce qui lui importe, c’est de savoir pourquoi ces ruisseaux ont disparu ! Elle discute, consulte… Et puis la jeune assistante fait craquer ses jointures. Elle a trouvé ! Les sourires se font carnassiers.
19h03
Alors que l’adjointe aux transports s’apprêtait à causer ramassage scolaire, la maire lui fait une queue de poisson : « Suite à la remarque sur le PLU, sachez que les zones blanches dans les zones boisées ne font que matérialiser le passage des lignes à haute tension. Les ruisseaux n’ont pas disparu. C’est juste qu’il arrive, parfois, que des lignes à haute tension les traversent. Il n’y a donc aucune incohérence dans les documents que nous avons transmis sur le PLU. »
19h15
Les dernières délibérations expédiées, l’ordre du jour épuisé et les élus remerciés, la maire commente la prestation de son adversaire : « Je m’attendais à mieux, à plus de mordant. C’est un véritable boulevard que je lui offrais pour qu’il s’exprime ! Il a pas dû travailler son intervention… » Ruiz, droit dans ses bottes : « Je savais que ça allait se passer comme ça. Madame le maire a voulu passer en force avec son PLU. Peut-être parce que certains y trouvent leur compte. Et puis, vous savez, face à un bloc monolithique, on est que six élus…»
19h20
En quittant Gréasque, dans l’autoradio, une K7 de Renaud : « Ma chanson leur a pas plu / n’en parlons plus ! »
Sébastien Boistel