La banalité du mal
Après Mediapart à Fréjus (83) et Radio Galère à la mairie du 13-14 à Marseille, le Ravi s’est vu interdire l’accès à la conférence de presse de Marion Maréchal-Le Pen au Pontet (84). Alors, prudent, pour venir voir Nicolas Bay, le monsieur « élections » du Front, coup de fil au FN marseillais : « C’est pas ouvert à la presse, c’est une réunion interne. » Dans la soirée, SMS du sénateur-maire Stéphane Ravier : « Vous serez comme à l’accoutumée le bienvenu. » Sauf qu’à l’issue de la conférence de presse, Ravier refuse finalement que l’on reste : « On va encore dire que je vire la presse. Mais c’est réservé aux militants. On n’a rien à cacher. Mais on ne va pas se mettre à poil. » La frontiste aixoise Catherine Rouvier renchérit : « Vous n’allez garder que deux phrases pour scandaliser la population ! »
Pourquoi tant de haine ? Peut-être parce qu’à l’heure des bilans, les frontistes ne tolèrent guère qu’ils soient faits par d’autres. Certes, « c’est un peu tôt, note le spécialiste du FN Joël Gombin. Les maires FN ont hérité des budgets de leurs prédécesseurs et n’ont pu les amender qu’à la marge. D’où des bilans qui se focalisent sur des mesures avant tout symboliques. »
Des mesures qui prouvent toutefois que la « dédiabolisation » n’est qu’une façade. Illustration chez Ravier ? S’il est discret sur le fait d’avoir fêté son anniversaire dans sa mairie (un 4 août, date symbolique de l’abolition des privilèges), il se félicite, devant ses troupes, d’y avoir célébré, avec force « chants patriotiques, toujours très sympathiques », la « Saint-Michel », le patron des paras ! Et, tandis qu’il faudra désormais, pour l’arbre de Noël du 13/14, produire une « carte nationale d’identité », les sculptures des élèves du lycée professionnel La Floride, s’inspirant des œuvres du Musée d’arts africains, océaniens et amérindiens, vont devoir déménager de la cour de la mairie…
Pour Elsa Di Méo, de la cellule « anti-FN » du PS (lire aussi page 14) : « Ici, les maires FN ne font pas semblant d’être de gauche. » Mais, s’ils sont aussi chatouilleux, c’est peut-être parce qu’il est étonnant de voir à quel point, malgré les outrances et l’amateurisme, le parti « anti-système » s’est inscrit dedans : cumul des mandats, augmentation des indemnités, gestion quasi « familiale » des mairies, recyclage des « perdants » du FN qui héritent des postes-clés, marchés confiés à des entreprises proches du parti…
Les nouvelles équipes parviennent même à s’accommoder des anciennes. Comme à Fréjus : « Non content de travailler, malgré ses promesses, avec les entreprises favorites de son prédécesseur, comme Pizzorno, David Rachline a maintenu une bonne partie des cadres d’Elie Brun (NDLR l’ancien maire UMP) », nous dit l’association anti-FN, le « Forum Républicain ». Et Philippe Mougin (UMP) de s’interroger, à l’heure des restrictions budgétaires, sur la subvention de 98 000 euros au Tennis club de Fréjus, dirigé par l’ancien bras droit de Brun.
Apparaître « bon gestionnaire »
La banalité du mal, c’est aussi celle des politiques menées. Sur la sécurité, un dossier emblématique pour le FN, les maires dégainent volontiers caméras et policiers municipaux. Or, souligne le sociologue Laurent Mucchielli, « la vidéo-surveillance a prouvé depuis longtemps son inefficacité. Quant à la police municipale, au lieu de jouer le rôle d’une police de proximité, elle singe dans ce qu’il y a de plus répressif la police nationale. » Des options qui « se retrouvent à droite mais aussi à gauche… » Idem sur les coupes budgétaires. Si les motivations sont souvent caricaturales – comme à Fréjus (lire aussi page 9) ou à Marseille à l’égard des centres sociaux ou des associations – celles-ci sont hélas classiques, rappelant celles de la mairie UMP d’Aubagne.
Pour Joël Gombin, « les maires FN ne veulent pas, comme en 1995, faire de leur ville un laboratoire mais apparaître comme de bons gestionnaires. En donnant des gages à leur électorat. Et en tentant de l’élargir. » Pas simple. A Fréjus, après avoir promis un référendum sur le projet de mosquée, Rachline y a renoncé, au grand dam du site « FdeSouche ». Avant de dégainer aujourd’hui, dans le prolongement des autres recours, un « constat de caducité des travaux qui devrait déboucher, précise la mairie, sur leur interruption ». De quoi satisfaire, pour le coup, « FdeSouche ». Mais pas le site « Trouve ta mosquée » soulignant que le frontiste « doit beaucoup aux citoyens de confession musulmane : sans eux, son élection aurait été plus difficile voire impossible »…
Même oscillation chez Ravier. S’il va jusqu’à citer sur son site web le Ravi pour fustiger le clientélisme en matière d’attribution de logements, face aux militants, celui qui dit être là pour faire le « lien entre les habitants et ceux qui ont le chéquier » assure que la moitié des demandes qu’il reçoit « concernent le logement ». Et, quoique « opposé par principe au logement social », comme note l’adjointe au logement Arlette Fructus, le frontiste, confirme-t-elle, les fait bien remonter, dans le cadre du contingent réservataire que se partagent la mairie centrale et celles de secteur. Sauf que, siffle l’opposant PS Stéphane Mari, « Ravier n’a pas, comme son prédécesseur, le réseau pour "pousser" les demandes ».
Ce pas de deux va jusqu’à décontenancer les… comités de vigilance ! Notamment la LDH à Fréjus : « En les obligeant à se tenir à carreau, est-ce qu’on n’est pas en train de leur rendre service ? Car, jusqu’à présent, il n’y a pas eu de gros dérapages », s’interroge Isabelle le Buzulier. Avant de se reprendre : « Il y a néanmoins une vraie libération de la parole raciste. Et puisqu’ils sont là pour durer, nous aussi ! »
Dialoguer ou boycotter ?
En attendant, que faire ? Maintenir le dialogue avec une mairie, même FN ? En pointe sur les rythmes scolaires, Séverine Gil, du MPE 13, avoue avoir rencontré l’adjointe d’extrême droite en charge du dossier dans le 13/14 : « Habitant le 13ème, j’ai toujours été en contact avec la mairie. Si j’y suis allé, c’est à la demande des parents. Même si je me suis posée des questions, je ne me voyais pas les abandonner et leur faire payer le fait que la mairie était FN. » Pas question en revanche pour Sébastien Fournier, instituteur membre du comité de vigilance, de « dialoguer avec le FN. Ça les légitimerait. On se contente de demander le maintien de l’existant. »
Mêmes atermoiements en interne à la mairie des 13/14. Sur près de 300 agents, certains estiment les candidats au départ à une cinquantaine. Mais, pour l’heure, il n’y en aurait, officiellement, qu’une vingtaine. Ce dont Ravier se gargarise. Pas simple, toutefois, dixit l’opposition, « de demander à partir. Car Marseille a beau compter 11 000 agents, il n’y a pas tant de places qui se libèrent. Et ça ne se bouscule pas pour bosser ici. » Et de constater que « s’il y a des poches de résistance, il y a aussi des personnes qui, parce qu’elles ont demandé quelque chose à la mairie, se sentent désormais obligées d’inviter le FN ».
In fine, pour Joël Gombin, « ce n’est qu’à l’aune du premier budget qu’on pourra faire un vrai bilan ». Reste que, de Vitrolles à Nice en passant par le « 04 », avant même les cantonales et les régionales, ça tiraille déjà entre les tenants de Marine et ceux de Jean-Marie. Comme à Digne (04) où viennent de démissionner du FN l’ancien secrétaire, Gilles de Valckenaere, et la conseillère Marie-Anne Baudouil-Maurel : « Après l’épisode de la "fournée", nous dit-elle, je n’ai pas supporté la dernière sortie sur Vichy de Jean-Marie Le Pen. Et j’ai eu le malheur de le critiquer. Or, en Paca, c’est lui le vrai patron du FN. C’est une de ses proches qui a pris la tête du FN 04. Il y aurait d’ailleurs une procédure disciplinaire contre moi. J’ai donc préféré démissionner. Car si le FN commence à ressembler aux autres partis… »
Sébastien Boistel