Kaps sur Air Bel
« Je peux essayer, Madame ? » Les yeux écarquillés, Ines a cinq ans et commence à s’impatienter devant la slackline (1) tendue entre deux arbres, en plein cœur de la cité marseillaise d’Air Bel (11e). Ils sont une vingtaine de gamins à s’agiter d’activité en activité, du parcours d’obstacles à l’atelier jonglage, en passant par la course en sac. Si à l’ordinaire, le lieu-dit de la table de ping-pong est branché « commerce », un dimanche sur deux, c’est plutôt ambiance colonie de vacances. Et dans le rôle des gentils organisateurs : des Kapseurs. Qui ? Les Kapseurs, neuf jeunes, de 19 à 27 ans, qui ont décidé de passer un an à Air Bel pour animer le quartier sur leur temps libre.
Etudiants ou jeunes travailleurs, ils participent au projet Kaps, Koloc’ à projets solidaires, initié par l’Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev). « Je cherchais une colocation à Marseille, explique Aurore Ruszniak, une étudiante en animation culturelle de 26 ans aux cheveux roses. Puis, sur leboncoin.fr, je suis tombée sur la petite annonce de l’Afev pour la Kaps d’Air Bel. Comme j’avais envie de faire des activités à côté, j’ai foncé ! » Un peu de hasard et beaucoup de motivation. Sur les neuf colocataires, seuls deux connaissaient déjà l’association, comme Mathieu Gelin, 27 ans et seul garçon de la bande. « J’avais déjà fait de l’accompagnement scolaire avec eux, raconte ce professeur documentaliste, entre deux parties de Mölkky, la pétanque finlandaise. J’aime bien m’investir là où j’habite, alors la Kaps, c’était parfait. Et comme j’ai déjà habité en cité, je suis serein. » Car avant d’être acteurs du quartier, les Kapseurs sont d’abord habitants.
Logement contre actions sociales
Répartis dans trois appartements de tours différentes, ils bénéficient du prix du loyer HLM, soit environ 200 € par personne. « Attention, ils ne prennent pas la place des familles qui attendent un logement social, précise Cécile Mériaux, chargée du développement local de l’Afev et coordinatrice de la Kaps. Ces logements sont attribués dans le cadre de loi Molle (2). » L’idée de créer une Kaps marseillaise trottait dans la tête de l’Afev depuis un moment, mais le déclencheur, c’est un bailleur social : la Logirem. « Ils ont fait une étude sur leur parc et se sont rendus compte que peu de jeunes y étaient logés, ajoute-t-elle. Ils sont venus nous rencontrer pour voir quels quartiers on pouvait investir. On a choisi Air Bel parce que l’Afev y est implantée depuis six ans, donc on connaît bien les acteurs du quartier. » Ont suivi alors deux autres bailleurs : Erilia et la Phocéenne d’habitation.
C’est ainsi que Marseille devint la 15e ville Kaps de France.
C’est dans l’un de ces trois appartements meublés, surnommé la Kaps’attack, que se sont préparées les activités du dimanche, quelques jours auparavant, autour d’un apéro bière-chips. « Le deal normalement, c’est de consacrer trois heures par semaine à la Kaps. En réalité, c’est au moins trois fois plus ! », plaisante Aurore. Sous l’œil hagard du chien de la coloc, déçu de voir sa place sur le canapé occupée par les Kapseurs, la réunion fait le point sur la semaine. « On a fait du porte-à-porte pour se faire connaître, mais ça serait bien d’avoir une carte de visite pour être joignables. » – « Il y a un guide à préparer pour les néo-arrivants de la cité, faut savoir ce qu’on met dedans… » – « Pour le goûter, on peut faire des Kaps’cake ! » Les points à aborder s’enchaînent, soigneusement résumés par une des colocs pour faire un compte-rendu à la coordinatrice. Mais le gros sujet, c’est : « Et pour dimanche, on fait quoi ? »
Ecouter, recycler, s’adapter
Le 15 novembre, c’était le quatrième dimanche lors duquel les Kapseurs ont investi la pente qui relie les deux écoles du quartier afin d’occuper les enfants. « Pour savoir ce qu’attendaient les gens, la première fois, on a fait un arbre à idées, se souvient Marie-Alix Détrie, 22 ans, clope au bec. Sur les petits bouts de papier, la thématique du recyclage revenait souvent. » Alors pour faire des activités, sans budget et 100 % bénévolement, ça sonne juste.
« Y a des pneus qui traînent partout sur l’herbe, les chemins, autour des bennes… On pourrait les utiliser pour un parcours d’obstacles ? » Et ça marche. Dimanche, une dizaine de pneus démarraient le parcours, plus loin des coussins récupérés d’un vieux canapé ou encore des planches de bois trouvées en chemin. Pour la course en sac, c’est le boulanger du coin qui a fourni les sacs à pain. Du bricolage qui ravit les gosses, même quand il s’agit de ranger en fin de journée et faire rouler les pneus en contrebas, vers les poubelles.
Si les enfants répondent présents et font passer le message, mobiliser les 6 000 habitants de la cité reste un défi. « C’est vrai que pour le moment, on ne touche que les petits, c’est dommage. Faudrait arriver à motiver les plus grands, regrette Aurore, le regard vers le terrain de foot d’à côté où des ados s’amusent avec un taser. Les parents, ça ira mais eux, ça sera plus dur… » Si les jeunes du quartier préfèrent pour l’instant passer en scooter au milieu des parcours, plus ou moins vite, quelques-uns s’approchent quand même timidement. L’un d’eux s’essaie à la slackline – « C’est tarpain dur en fait ! » – et deux autres donnent un coup de main rapide pour désinstaller les activités avant de retourner vaquer à leurs occupations.
Faire jouer les gamins le dimanche après-midi, ce n’est pour le moment que la partie visible de l’iceberg. Chaque Kapseur est responsable d’un projet plus ambitieux sur l’année : une formation photo, des rencontres musicales bimensuelles ou encore la création de jardins verticaux aux balcons. Des activités adressées à un public plus large. Et le point d’orgue du début d’année prochaine, c’est le concert de HK et les Saltimbanks, qui organise une tournée nationale des Kaps. Ce dimanche en appelle d’autres. Un petit aprem’ dans le quartier, toujours plus constructif que d’envoyer l’armée dans les cités.
Pauline Pidoux
1. Une sangle sur laquelle on fait du funambulisme. Un truc assez casse-gueule.
2. Loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion qui vise à davantage de mixité sociale en logeant des jeunes de moins de 30 ans.