« Je m’adresse à des ennemis »

juillet 2016 | PAR Trax
Reportage au procès en appel de Jean-Marc Rouillan pour "apologie du terrorisme" après son interview au Ravi.
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Beaucoup de gendarmes et dans le public de la 16ème chambre du tribunal de Grande Instance de Paris, ce 24 juin 2016, une majorité de soutiens pour Jean-Marc Rouillan ! Un reportage de Trax.

L’ancien membre d’Action Directe, est poursuivi, ce 24 juin 2016, pour « apologie du terrorisme » et menacé, après 24 ans de détention, de révocation de sa liberté conditionnelle pour avoir, au cours de son interview lors d’une « Grande tchatche » avec le Ravi diffusé sur radio Grenouille, qualifié de « courageux » les auteurs d’attentats djihadistes.

1er round 

Les avocats de JMR, Mes Pendelon et Etelin, contestent la régularité de la procédure, soutenant que, s’agissant d’un délit de presse, le directeur de publication aurait dû être poursuivi comme auteur et JMR comme complice.

2ème round 

Les mêmes contestent la recevabilité des constitutions de partie civile individuelles d’une trentaine de victimes d’attentats représentées par Me Morice, faute de lien direct entre leur préjudice et les faits incriminés.

3ème round 

Le Tribunal décide cependant d’examiner le fond et fait entendre l’intégralité de l’interview en l’interrompant parfois pour des questions au prévenu.

Extraits des échanges.

JMR doit répéter les mêmes réponses aux mêmes questions réitérées sous différentes formes. Il semble parler toujours calmement mais plutôt comme pesamment, avec une lassitude contenue. Il a ce qu’il décrit dans un livre comme caractéristique des détenus : « le regard qui s’immobilise parfois, trop longtemps. » Il précisera au cours des débats qu’après des années d’isolement, il a dû réapprendre tout seul à parler, et, en effet, ses phrases sont parfois bancales, pas toujours terminées.

Parmi les de JMR réponses, celles-ci : « Je pense que quand on affronte la mort , le mot « courageux » peut avoir un côté … pas moralisateur mais j’en parle du point de vue de la détermination… Je ne suis pas dans leur cas, j’essaye d’entrevoir ce qui se passe dans leur tête, ce n’est aucune forme (sic) d’approbation… Je m’adresse à des ennemis… J’essaye de prévenir les ravages qu’ils ont fait… Je suis totalement contre eux, je n’ai aucune connivence avec ces terroristes, je les considère comme des animaux … »

La Présidente : « Est-ce que vous pouvez les qualifier de révolutionnaires ? »

JMR (sans hésitation) : « Absolument pas.  Le retour au grand califat, c’est beaucoup plus d’oppression pour leurs frères que de libération. »

La Présidente : « Quand vous dites : « J’en ai marre des poncifs antiterroristes », expliquez-moi ? (…) Les jeunes (des quartiers nord) qui écoutent cette radio ont entendu le mot courageux. »

JMR : « Dans les casernes on apprend qu’il faut dire « lâche attentat » pas « attentat »… Pour être écouté par eux c’est important de ne pas reprendre le discours dominant… Dans les quartiers je leur dis qu’il y a une autre lutte… Je leur dis ce sont des impies, tuer c’est haram… »

Une assesseure : « Est-ce que quand on a été soi-même qualifié de terroriste, on a une difficulté à (en) critiquer un autre ? »

JMR (à nouveau sans hésiter) : « NON. On n’a jamais fait l’apologie de ceux qui ont fait des attentats dans les banques. On les a toujours combattus même les armes à la main. Ce ne sont pas des frères d’armes… L’attentat ciblé a toujours été opposé à l’attentat massacre, je ne sais pas si je peux en parler ? »

La Présidente : « En effet vous n’avez pas le droit d’en parler du tout. On va éviter le sujet. »

JMR : « Je ne suis pas un sanguinaire. Je pense que toute victime est déplorable. Je suis totalement désolé pour toutes les victimes Du Bataclan, les victimes chiites, celles de l’avion russe … »

Une juge : « Dans quelle catégorie rangez-vous les policiers ? Est-ce qu’ils peuvent être des cibles ? »

JMR (pour la seule fois élève la voix et très vivement) : « NON ! Je peux dire que les policiers, pour nous, ont été courageux. »

Sur les circonstances dans lesquelles a été abordé le sujet du terrorisme djihadiste : « On entend dans l’interview que je suis très agacé. C’est l’époque de la promotion de mon film. Je ne peux pas refuser … J’aurais dû, je regrette … Je suis très en colère. »

La Présidente confirmera : « Sur la première partie, je suis d’accord, j’ai l’impression que ce sont les journalistes (qui abordent le sujet), après que c’est vous qui parlez volontiers des « gamins » (à propos des terroristes)… »

La Procureure : « Qu’est-ce que vous condamnez, Daech, l’organisation ou ses membres ? Ce sont des « gamins » ou des combattants ? »

JMR : « « Gamins », c’est le langage des prisons, ça ne veut pas dire qu’on les trouve sympathiques ». (N.B. : JMR a fini lui-même par être appelé « l’Ancien »). C’est la seule émission dans laquelle j’en parle. »

La Présidente (plus tard) : « Au départ vous parliez pour une audience confidentielle. Vous n’avez pas imaginé ce battage. Pourquoi n’avoir pas recontacté des journalistes ? »

JMR : « J’ai fait deux démentis sur RTL et Europe 1 le lendemain. Ensuite le service de probation m’a dit : « Faites-vous discret ». »

L’enquête de personnalité, le rapport du JAP montrent que JMR respecte toutes ses obligations de conditionnelle.

La Procureure

Sur la menace que fait peser sur la liberté d’expression la loi récente qui institue le délit d’apologie du terrorisme : « Le texte n’a jamais empêché la liberté de parole… On a été repus de débats… J’entends dire que nous sommes un tribunal d’exception mais aujourd’hui le terrorisme, c’est du droit commun. »

Et enfin la Procureure de requérir à l’encontre de JMR : « Le courage est une vertu, une qualité, c’est bien une apologie : 12 mois de prison ferme ! »

Les parties civiles

Me Casubolo, pour l’AFVT, après avoir somnolé, joue l’amalgame et le pathos. Extraits : « M. Rouillan est communiste ! Ah ! le communisme ! 50 millions de morts !… Quand je pense aux enfants des victimes du Bataclan (une seconde de sanglot dans la voix)… Ils se sont inspirés de la scène finale de la Horde sauvage (il la décrit)… »

Me Morice, pour les autres parties civiles, joue l’emphase : « 3 mois, Mme la Présidente ! 3 mois ! 3 mois après ! Rouillan a voulu glorifier le courage des terroristes, c’est un traumatisme supplémentaire pour toutes les victimes. »

Les avocats de Rouillan

Me Pendelon rappelle l’arrêt Le Hideux/Isorni : « L’apologie n’est pas synonyme d’éloge… L’élément intentionnel manque, le délit n’est pas constitué… Ce n’est pas le procès de l’apologie du terrorisme mais celui de la non-condamnation de la violence. »

Me Etelin : « Voyez dans quel contexte hypocrite nous sommes obligés de parler (de cette affaire)… On frappe sur les mouches ! Il faut se hisser à un certain niveau … La France commerce avec le Qatar, là il n’est pas question de prendre des mesures d’Etat… Les Ets Eiffage doivent continuer à vendre leur ciment à Daech… »

Il cite Nietzsche : « Quand on veut combattre les monstres, il faut veiller à ne pas devenir monstre soi-même. » « Ce n’est pas tant les propos qu(e JMR) a pu tenir qu’on juge, que les propos qu’il a pu tenir en tant qu’ancien terroriste … Quand a-t-il dit : « Ils ont bien fait. C’est normal d’agir ainsi » ? »

Il cite des propos autrement plus dangereux de Michel Onfray («  (Les attentats), c’est la réponse du berger à la bergère ») et ceux de Sartre sur la guerre d’Algérie (« Le sang versé est légitime, … abattre un européen c’est à la fois abattre un oppresseur et un opprimé, il reste un homme mort et un homme libre ») ou encore De Gaulle, qui, à ceux qui le pressent d’arrêter Sartre, répond : « On n’a pas arrêté Voltaire. » Me Etelin demande : « Où en est-on aujourd’hui ? Quand Sartre pourrait écrire ceci sans être poursuivi ? »

Il cite Dan Kaminsky, après les attentats en Belgique : « Si les auteurs des attentats étaient des lâches, les choses seraient plus simples. » Le criminologue doute que l’accusation soit fondée, dit que lui-même n’aurait pas eu leur courage et que discréditer l’ennemi n’est pas la bonne stratégie.

Puis Me Etelin lit un extrait de « Un silence religieux » : « Le sentiment qui met les djihadistes en mouvement, c’est moins la haine que l’enthousiasme. » Et Spinoza : « Il ne s’agit pas de pleurer, il ne s’agit pas de rire, il s’agit de comprendre. »

Et l’avocat de conclure : « Encore faudrait-il caractériser une apologie… S’est-on interrogé sur le courage de ceux qui ont envoyé une bombe sur Hiroshima et Nagasaki ? »

Dans le public, un homme commente : « En ce moment un jeune homme est en détention provisoire, le temps d’une enquête pour la détention de l’équivalent de 3 joints. Pendant ce temps, M. Dassault, soupçonné d’avoir commandité un assassinat, se promène librement. Tout est dit. »

(1) Mercredi 7 juillet 2016, les avocats de Jean-Marc Rouillan étaient encore dans l’attente des motivations exactes de sa condamnation à 8 mois de prison. Une certitude : ils feront appel de cette décision suite au procès qui s’est déroulé le 24 juin 2016 à la 16ème chambre du TGI de Paris. « C’est une décision pour le moins inquiétante, qui touche à la question de la liberté d’expression et c’est donc un cas qui méritera qu’on se batte jusqu’à la cour européenne des droits de l’homme« , souligne Maître Marie-Christine Etelin. Si, in fine, malgré les recours, cette condamnation était confirmée, la peine de 8 mois de prison pourrait être aménageable, par exemple sous la forme de semi-liberté.