« Je vais twitter si vous me le permettez »

10h05 C’est le dernier conseil communautaire avant les vacances. Pas de cravates à l’horizon. Teint hâlé, petites lunettes, chemise à carreaux bleue, le sénateur UMP et président de la CCPRO Alain Milon procède à l’appel. Trois élus sont portés pâles. La séance se tient dans les locaux très 90’s du siège de la communauté de communes à Bédarrides, petite ville où les scores du Front National crèvent les plafonds. Mais dont le maire, Joël Sérafini, est divers gauche… « On peut ouvrir ? », questionne le président. Une voix s’élève, celle du maire de Châteauneuf-du-Pape Jean-Pierre Boisson (cela ne s’invente pas !) : « Non, il nous manque certains documents. » Une préjudiciable erreur très vite réparée.

10h14 Empli d’émotion, Alain Milon déclare : « Je considère cette séance comme la plus importante depuis 1993, lors de la création de notre intercommunalité. » Aujourd’hui, l’aréopage doit se prononcer sur le rattachement d’Orange à la communauté de communes. La cité des Princes, administrée par l’ex-frontiste mais non moins extrémiste Jacques Bompard, n’appartient à aucune intercommunalité. Ce qui sera interdit par la loi au 1er janvier 2014. Gros changement donc pour la CCPRO, puisqu’avec 30 000 habitants, Orange deviendra la « capitale » d’un territoire qui représentera 68 000 habitants contre 38 000 actuellement. En attendant, à ma droite, on se cure discrètement le nez.

10h16 Joël Sérafini, le jeune maire de Bédarrides, prend la parole. Allure de petit nounours et bonhomie naturelle, il explique pourquoi lui et son groupe votent contre ce rattachement : « La loi de décembre 2010 stipule de recentrer les intercommunalités autour de leur bassin de vie. Or, Sorgues ou Bédarrides sont naturellement tournées vers Avignon, non pas vers Orange… C’est un choix par défaut et nous le refusons. » Cette histoire est un long feuilleton : un premier découpage territorial proposait de créer une grande communauté d’agglomération d’Orange à Avignon, ce qui a été refusé par les élus. A gauche comme à droite, on a demandé une intercommunalité autour d’Orange. Mais cela posait des problèmes de continuité territoriale…

10h18 Thierry Lagneau, maire de Sorgues depuis qu’Alain Milon lui a cédé son siège en 2011, affiche un brushing parfait et une charmante chemise à rayures roses. Pour lui, « ce sont les compétences et les gouvernances qui sont primordiales et non pas les contours. Je vote pour sans état d’âme ce qui est peut-être le premier étage d’une intercommunalité plus vaste, l’avenir nous le dira ? » S’attacher à Orange pour ensuite tenter de rejoindre le Grand Avignon ?

10h21 « D’autres élus souhaitent intervenir ?, demande Alain Milon. Bon, moi je veux intervenir. Nous n’avons pas tous le même bassin de vie mais ce n’est pas une condition obligatoire. Si vous êtes malade et que vous habitez Jonquières, vous irez à l’hôpital d’Orange. Vous habitez Sorgues ? Vous irez à Avignon. Si vous avez un cancer de la prostate – à notre âge messieurs, nous y sommes tous confrontés (rires) – on vous soignera à Orange. Par contre si vous avez besoin d’un neurologue, il faudra se rendre à Marseille. Où est le bassin de vie dans tout ça ? Les départements ont été créés sur des distances qui n’excédaient pas une journée à cheval… Maintenant on est à 2h40 de Paris. Et que dire de vos petits enfants, quand ils discutent sur Internet avec des amis au Brésil… »

10h24 La délibération est adoptée. « Je le savais », triomphe le président. « Je vais twitter si vous me le permettez. Il y en a qui l’attendait ! » Le sénateur compte 84 followers sur le réseau social préféré des politiques. Une paille !

10h25 Deux employés municipaux, crânes rasés et chaînes en or qui brillent, font office de videurs devant l’entrée des locaux de la CCPRO.

10h26 Deuxième gros dossier : la future répartition des 23 nouveaux sièges de conseillers communautaires. Orange aura la part belle avec 15 fauteuils tandis que Sorgues en gagnera 3. Insuffisant pour le père Bompard qui a déclaré durant l’été en vouloir 22, selon toute proportionnalité démographique. Ce qui n’est pas une obligation légale… Lors des prochaines élections municipales, les conseillers communautaires seront élus au suffrage universel direct. Et si le FN sous le parrainage de Marion Maréchal (nous voilà) Le Pen faisait un gros score à Sorgues, la CCPRO pourrait être gérée par une extrême droite recomposée alliée à Jacques Bompard.

10h34 Plusieurs délibérations, après une lecture où les élus récitent à la vitesse de la lumière leur texte de façon inintelligible, sont toutes adoptées à l’unanimité.

10h38 Vient une délibération sur la prise en charge d’une partie de la mutuelle des employés municipaux. Les deux gorilles de l’entrée doivent être contents.

10h39 « Le bureau s’est penché sur les événements de Lourdes », indique le président (d’importantes inondations en juin dernier, Ndlr). 5 000 euros seront versés par solidarité à la Communauté de communes du Canton de Saint Béat. Ah, la charité chrétienne !

10h47 Thierry Lagneau explique pourquoi l’interco’ a contracté des emprunts auprès de deux banques différentes pour éviter de dépendre d’un seul établissement. Mais le maire de Châteauneuf-du-Pape, qui décidément a les idées claires, observe que les taux d’intérêts ne sont pas du tout les mêmes dans les deux banques : « Je veux bien qu’on ne mette pas tous nos œufs dans le même panier mais là il s’agit plutôt de perdre des œufs… Il y a une erreur non ? » Lagneau, tout penaud, s’excuse.

10h50 Subventions sportives ou culturelles, éclairage public, réhabilitation d’un logement public, bassin de rétention d’eau… Que du très funky jusqu’à la fin du conseil. Du coup, comme au collège, on se dissipe beaucoup.

11h01 Joël Sérafini va se chercher un petit verre d’eau.

11h10 « Je sais que vous voulez partir en vacances, voir le Tour passer le Ventoux, le 14 juillet tout ça… mais je n’ai pas fini s’il vous plaît », tonne gentiment le président. « Comme je savais que nous voterions le rattachement d’Orange, j’ai pris les devants. Je dois rencontrer Jacques Bompard début septembre. » Pas sûr que le maire de la Ligue du Sud sabre avec lui le champagne. Il accepte mal que certaines compétences, comme la gestion des déchets, lui échappent au profit de la communauté.

11h20 Alors que tout le monde pense aller prendre l’apéro, le maire de Châteauneuf-du-Pape, décidément sobre, veut parler irrigation, « un gros dossier sur lequel il faudra impliquer Orange ». Il se lance dans des explications techniques. Le sénateur semble désarçonné.

11h24 Bon, après tout, il est l’heure de l’apéro. « Je ne voudrais pas vous laisser partir la gorge sèche ! », conclut Alain Milon. Merci à lui !

Clément Chassot

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