« Je suis en paix avec ma conscience et mon cœur »
13h28
Cédric Herrou, catogan et lunettes rondes, et Pierre-Alain Mannoni, pull bleu marine, entrent dans le tribunal sous les flashs des caméras ce 23 novembre 2016. Les deux hommes sont accusés d’avoir aidé au séjour et au transport de migrants et sont passibles de 5 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende selon l’article qui s’applique habituellement aux passeurs alors que ces derniers ont agi de manière désintéressée. Rares sont les cas qui finissent au tribunal, sauf quand on veut faire un exemple…
13h35
Les journalistes se bousculent à l’entrée de la salle qui compte à peine une quarantaine de places assises. Reuters se fait sortir par le col, sans ménagement. Un policier, court sur pattes, aboie sur tout le monde. Aucune priorité d’entrée n’est donnée à la presse. « Ils ont géré comme des merdes, c’est la première fois que je vois ça », lance un rédacteur TV.
13h39
Après avoir goûté à la moumoute d’une perche, le Ravi se fraye un chemin et se retrouve à deux cols de fémur de la députée écolo Cécile Duflot, venue en soutien. « Téléphone éteint j’ai dit ! », nous hurle le roquet. L’interdiction du portable en séance est une notion assez floue. Le ton monte. WonderCécile vient à notre rescousse : « Ecoutez monsieur, les lois on les respecte, ou alors on fait comme moi on les vote, mais on ne les invente pas ! » Députée ou pas, elle se fait envoyer balader comme les autres.
13h45
Ses avocats étant absents, l’audience de Cédric Herrou est renvoyée au 4 janvier. La juge, Laurie Duca, l’autorise à conduire et à sortir du territoire pour travailler. Le roquet fait évacuer la salle.
14h00
Mannoni passera en dernier car « il est hors de question que ce procès médiatique vienne troubler les habitudes du tribunal », précise la juge au Ravi. Selon nos sources, le procureur Jean-Michel Prêtre, qui tient à être présent pour cette audience, aurait pourtant insisté pour que ce dernier, libre, passe avant les comparutions immédiates des détenus. Raté !
15h00
Manonni enchaîne les interviews et répète que son acte n’est « ni militant, ni politique » mais simplement « humain ». Dehors plus de 200 personnes sont rassemblées en soutien. « Si vous sortez, vous n’entrez plus ! », nous prévient un policier. Délaissée par les caméras, WonderCécile attrape le bras de Cédric Herrou, geste idéal pour le cliché souvenir en mode « j’y étais ! ».
16h30
Journalistes, perches et caméras jonchent le sol. « Ça ressemble à une réunion des citoyens de la Roya ! », ironise un militant.
18h50
Barrières à l’entrée de la salle d’audience et CRS en renfort. « Vous nous empêchez clairement de faire notre métier là ? », leur lance un journaliste qui essaie de joindre le procureur en vain. A l’intérieur, la dernière affaire renvoyée est celle d’un passeur. Coïncidence ?
19h30
Prêtre a pris place. Mannoni s’installe à la barre, les mains dans les poches, pas habitué à l’exercice. Pour cet universitaire, c’est une première. L’un de ses témoins a dû partir à cause de l’heure tardive. La juge rappelle les faits : l’arrestation au péage de la Turbie le 17 octobre avec trois femmes érythréennes à son bord dont une mineure, visiblement blessées, qui doivent rejoindre Marseille pour être soignées. « Dans leurs déclarations elles insistent sur le fait que vous ne leur avez rien demandé en retour », précise la juge.
19h45
La veille Mannoni a déjà pris quatre migrants africains au bord de la route qu’il a hébergés chez lui. La juge lui précise que le tribunal n’est pas saisi pour cette affaire mais elle lui demande de raconter. En voiture, avec sa fille de 12 ans, de retour en soirée de la fête de la Brigue, il voit quatre jeunes en bermuda marchant vers les monts enneigés. « On est bien d’accord, vous comprenez qu’il s’agit de migrants ? », l’interrompt la juge. « Ben des Africains dans la vallée de la Roya, je comprends qu’il faut les aider », répond-il, sur la défensive. La présidente lui rappelle que dans sa déclaration il dit avoir croisé ces jeunes le midi et leur avoir demandé de se cacher jusqu’au soir. Mannoni s’excuse de son inexactitude. « Vous avez eu le temps alors de mûrir les choses ? », insiste la juge. Le procureur plisse les yeux. Une militante soupire.
20h00
Mannoni raconte sa rencontre avec les trois Erythréennes dans un ancien bâtiment SNCF, squat ouvert par les militants de la Roya – Cédric Herrou est également poursuivi pour ce motif – à Saint-Dalmas-de-Tende, où il n’y a ni électricité, ni chauffage. Il s’y rend après avoir passé la soirée avec un ami. « Après une séance de sudation », précise la juge. Mannoni acquiesce. « Une séance de quoi ? », chuchote notre voisine de droite. « Cette situation pour les migrants est dramatique », poursuit Mannoni. « Mais est-ce que vous vous êtes posé la question de la légalité ou de l’illégalité ? », interroge la juge. « Que des mineurs soient reconduits en Italie, ça c’est une situation illégale », note Mannoni.
20h15
Le prévenu a refusé de donner à la police les codes de son téléphone. Un portable au nom d’Hubert a été trouvé dans sa voiture. « Vous êtes très actif en terme de SMS ! […] Vous avez conscience d’un problème de légalité car on vous sent très prudent… », lance la juge avant de faire lecture de nombreux messages datant du 9 octobre, soit une semaine avant les faits. Certains destinés à des militants associatifs, dont un prévenant de son arrestation, évoquant fièrement un périple à la « Ô Brother » et sa « fille faisant cosette ». Le public est dépité. Et la juge de poursuivre : « On a le sentiment que vous êtes plus actif que ce que vous dîtes… » « J’ai débuté tout seul, rétorque Mannoni. Mon geste est désintéressé et en lien avec mon éducation. […] Je suis en paix avec ma conscience et mon cœur. Et je suis surpris car l’article de loi pour lequel je suis jugé concerne les passeurs. »
20h27
Un membre de Médecins du monde vient témoigner. Il rappelle que si l’Etat faisait son travail, il n’y aurait pas besoin de gens comme Pierre-Alain. Et qu’avec Amnesty international, ils comptent intenter un procès à l’Etat.
20h38
Le procureur se lève et s’adressant à Mannoni : « J’ai bien compris qu’il fallait faire preuve de pédagogie… » Il poursuit son réquisitoire en différenciant l’aide au secours « qui n’est pas une nécessité mais un devoir », de l’aide au séjour et au transport qui est condamnable. Grimaces dans la salle… « Je ne suis que la bouche de la loi ici », précisera le procureur par trois fois. Rappelant qu’il n’y a pas « plus de danger et de malheur à être d’un côté ou de l’autre de la frontière ». [ndlr : Amnesty international dénonce pourtant des pratiques « assimilables à de la torture » en Italie]. Il requiert 6 mois de prison avec sursis contre Mannoni.
20h49
Maître Maeva Binimelis, pour la défense, évoque le sort des Boat-peoples dans les années 80 « pour lesquels on s’insurgeait et que l’on accueillait ». Un assesseur regarde le plafond. La voix de l’avocate sonne « tragédie grecque ». Elle rappelle que les violences en Italie sont bien réelles « à moins sinon que la presse mente… ». Et « en réponse à tous ces gens solidaires », elle sollicite la relaxe.
21h02
« Merci monsieur le procureur de votre pédagogie ! » : Mannoni insiste sur ce dernier mot… Notre voisine de gauche a compris « démagogie ». Et Mannoni de s’interroger où, face à des êtres en danger de mort, commence le secours, de l’aide au transport ? En attendant le délibéré le 6 janvier, Mannoni sort du tribunal comme il y est entré, acclamé par la foule et en sauveur de l’humanité.
Samantha Rouchard
En tête d’article, Pierre-Alain Mannoni, et en fin de reportage, Cédric Herrou, croqués par Trax.
Reportage publié dans le Ravi n°146, daté décembre 2016