Je lutte, tu re-luttes…
« Alors, la rentrée sera chaude ? » : éculée, la question n’en provoque pas moins soupirs, silences et regards qui en disent long. S’il est difficile de lire dans une boule de cristal, il est une certitude : alors que l’instruction devrait être « gratuite, laïque, obligatoire » et l’éducation un droit de l’homme, la première chose que l’on apprend à l’école, c’est à se battre.
Pour empêcher, comme dans le Var, la fermeture d’une classe : « Malgré l’augmentation du nombre d’élèves, les fermetures de classes sont supérieures aux ouvertures. Et le nombre d’enseignants insuffisant, peste Julien Giusiano, du SNUipp 83. Le Var se classe donc 91ème sur 101 départements pour le nombre d’élèves par classe. Or, c’est la clé de voûte ! » Une situation, en Paca, loin d’être exceptionnelle. Et si l’on se bat ici contre une fermeture, là, ce sera pour obtenir une ouverture. Illustration dans une école marseillaise où, à la veille des grandes vacances, se sont invités les parents d’enfants dont l’inscription est « en attente ». Soupir d’une instit’ : « Avec 30 enfants par classe, on sait que l’ouverture d’une nouvelle classe est indispensable. Mais l’administration attendra le dernier moment, la rentrée… »
Se battre, aussi, pour inscrire son enfant à l’école. Presque physiquement. Comme à la mi-juin, rue Fauchier à Marseille, dans les locaux de la ville où se font les inscriptions et où la police municipale a dû intervenir. Ce matin-là, Pascal était bien décidé à inscrire la petite dernière, s’organisant même avec sa compagne pour qu’ils se relaient dans la file d’attente : « A un moment, ça a pété. Une altercation entre un parent et un agent. On s’est tous fait sortir par la police. » Au final, il inscrira sa fille « dans le privé. On avait l’aval du directeur de l’école du quartier. Mais elle n’aurait pas eu de place. Et le privé coûte moins cher qu’une nounou. Sans parler des activités péri-scolaires. »
Professeur plutôt que chômeur
Les « TAP », ces activités accompagnant la réforme des rythmes scolaires contre laquelle le sénateur-maire (LR) Jean-Claude Gaudin a bataillé jusqu’au dernier moment en 2014. Cette rentrée sera-t-elle pire que la précédente ? « Peut-être », craint une maman ayant activement participé à la mobilisation l’an dernier. Non parce qu’ils seront payants, comme la mairie l’a un temps envisagé. Mais parce qu’ils n’auront plus lieu, au mépris de la consultation des parents, le vendredi mais le mardi ou le jeudi après-midi. Avec une impréparation telle que, jusqu’à la mi-août, toutes les écoles ne savaient pas forcément qui allait assurer les « TAP ».
De quoi faire bondir le PS, en particulier Annie Lévy-Mozziconacci, qui rêverait d’une « approche métropolitaine » des questions scolaires… même si, à Aix-en-Provence aussi, Maryse Joissains aura bataillé contre la réforme. En attendant, le PS a demandé une « commission d’enquête » sur le sujet et dénonce les « mensonges » de la ville (sur la « gratuité » dans les cantines, le coût réel des « TAP »), préparant en outre un recours contre la garderie réservée aux enfants « dont les deux parents travaillent » : « De toute manière, l’école, Gaudin et son équipe, ils s’en fichent, déplore la socialiste. Il n’y a qu’à voir où ils scolarisent leurs enfants. Dans le privé ! »
Et c’est en face d’une école publique, le groupe scolaire Ruffi, où les cours ont lieu depuis des années dans des préfabriqués et où un plafond s’est effondré que le maire, en juin, a inauguré en grande pompe une école… privée ! Claire Billès, du SNUipp 13, n’est même plus surprise de voir que « le concours pour devenir professeur des écoles n’a pas fait le plein ». Car il y a, pour elle, « une véritable dégradation des conditions de travail. Et une déconsidération de la fonction. Alors qu’on est de plus en plus en première ligne ». En tête ? L’agression d’un directeur d’école à Martigues. Ou ces écoles saccagées à Nice. Et puis, d’après la syndicaliste, « le profil des collègues a changé. Avant, on venait d’une famille d’instit’, on parlait de vocation. Aujourd’hui, on a des personnes venant du privé ou qui, face au chômage, voient l’Education nationale comme une étape. En attendant mieux. »
Les inégalités vont se creuser
A Sud, les traits sont tirés. Nicolas, prof de physique dans les quartiers Nord qui préférerait « bosser à la mine plutôt qu’en primaire » prend l’exemple d’une vieille affiche du syndicat clamant « Tu peux détruire l’emploi public : prends des heures sup’ ! » : « Aujourd’hui, on n’ose plus l’afficher. » Pour lui et ses collègues, « tout est fait pour isoler, individualiser ». Comme en primaire où, note Ondine, « on n’ose plus se mettre en arrêt maladie. Car, faute de remplaçant, ce sont nos collègues qui vont se retrouver avec nos gosses dans leur classe, en répartition ».
Difficile alors de mobiliser. Reste qu’il est un endroit où le feu couve : le collège. En cause ? Sa réforme, en parallèle de celle des programmes. Certes, d’après Sud, « pour l’heure, ce qu’on a beaucoup entendu, c’est la droite avec la suppression du latin et du grec alors que ça va bien au-delà ». Mais, du côté de la FSU, on se veut confiant. Au point de réclamer carrément le retrait de la réforme : « Celle-ci s’inspire de la réforme du lycée dont le ministère n’a toujours pas osé publier le bilan. Et s’annonce catastrophique, tonne Julien Santamaria, du Snes. Parce qu’elle va provoquer l’inverse de ce qu’elle annonce. Voulant réduire les inégalités, elle va les aggraver. »
Explication d’un prof de maths : « Les établissements vont avoir plus d’autonomie, notamment sur les programmes. Que se passera-t-il pour un élève passant d’un collège à un autre n’ayant pas du tout le même rythme d’enseignement d’une matière ? » Même critique à l’égard de l’interdisciplinarité ou des approches individuelles : « Dans l’absolu, pourquoi pas. Mais avec quels moyens ? Si Hollande nous a promis 60 000 postes, les 80 000 supprimés par Sarkozy manquent toujours à l’appel. Alors, aujourd’hui, la priorité, malgré les difficultés, ce sont les fondamentaux. » L’analyse à Sud ? « Dans les quartiers populaires, on va profiter des quelques heures supplémentaires pour faire des maths ou du français. Et dans les bahuts prestigieux, ils pourront faire de l’interdisciplinarité, du grec, du latin… Les inégalités vont donc se creuser. »
Dans ce contexte, devenir directeur relève de la gageure. Surtout quand le prédécesseur n’a tenu que quelques semaines. Et ce ne sont pas les 150 euros de prime par mois qui font la différence : « J’en avais marre de subir et de peiner à mettre un peu de ma couleur et de mes choix dans l’école. Alors, après avoir remplacé mon ancienne directrice, j’ai sauté le pas », raconte, sous couvert d’anonymat, la future directrice d’une école maternelle.
Qui sait que « les marges de manœuvre sont étroites. J’aimerais faire un peu de Montessori. Mais, avec 300 euros de budget par classe, ce sera compliqué. Idem avec le nombre d’Atsem (employés municipaux assistant les enseignants). Et puis, le statut est bâtard. Comme on a une classe, on fait partie de l’équipe. Mais plus vraiment. Parce qu’on est à la direction. » Et de conclure : « J’ai eu un premier stage de formation. Et s’il avait eu lieu au début, je ne serais peut-être pas allée au bout. On nous a mis la pression. En nous disant : "Vous ne serez plus les mêmes, vous allez changer de peau". Et même qu’on était les inspecteurs de demain ! » Des inspecteurs dont la dernière réunion avant les vacances d’été a eu lieu à Aubagne… à la Légion étrangère. Tout un symbole !
Sébastien Boistel