J’ai testé pour vous : Être une Sugar Baby !
Vous pouvez lire gratuitement cette archive du Ravi. Mais l’avenir du mensuel régional pas pareil, qui existe car ses lecteurs financent son indépendance, est toujours entre vos mains. Désormais vous pouvez aussi faire un don défiscalisé via la plateforme J’aime l’info : www.okpal.com/leravi
Graphisme sobre et épuré, Sugardaters.fr est un de ces sites de rencontre entre des hommes murs, aux portemonnaies plutôt bien garnis appelés ici « Sugar Daddy », comprenez « Papa-Gâteau » avec des jeunes femmes, étudiantes pour la plupart, ayant des difficultés à boucler les fins de mois. La version « Maman-gâteau » existe aussi d’ailleurs. « Le SugarDating, c’est la recherche d’une histoire romantique et d’attraction basée sur le respect et la confiance », précise la page d’accueil du site martelant à de nombreuses reprises que son utilisation est interdite « aux activités d’escorte ou similaire » et « pour vendre ou acheter des services sexuels ».
En octobre dernier, une enquête pour « proxénétisme aggravé » a été ouverte par le parquet de Paris contre le site Richmeetbeautiful.fr qui n’avait pas hésité à installer des panneaux publicitaires mobiles aux abords des facultés franciliennes pour inviter les étudiantes à sortir avec un Sugar Daddy ou une Sugar Mama plutôt que de souscrire des prêts étudiants !
En quelques clics je deviens à mon tour une grande Sugar Baby de 20 ans. La photo est obligatoire, c’est même la condition pour avoir accès à celle d’un Sugar Daddy. Je choisis l’option lunettes de soleil. Mon profil à peine validé que je reçois déjà un premier message de Darlands, 49 ans, homme d’affaire londonien, qui juge ma photo tronquée : « sexy ». En parallèle, je tente ma chance en suivant les pertinentes recommandations du site : « N’attendez pas qu’un homme vienne vous parler, et soyez la première à envoyer un message, vos rencontres n’en seront que meilleures ! » Un judicieux conseil, sans lequel je n’aurais peut-être jamais fait la connaissance de VT BM, 33 ans, qui à un classique « Bonjour comment ça va ? », répond un gracieux « As-tu une belle chatte qui aime l’argent ? ».
Par jour, seulement cinq demandes de contact sont possible, alors j’en profite au maximum en approchant pêle-mêle un médecin, un artiste et un fonctionnaire. Ils ont entre 33 et… 80 ans. Un mail me notifie qu’un membre me donne accès à ses photos privées. En cliquant, je prépare toujours mon esprit au pire, mais entre selfies peu avantageux et photo mal cadrés, y a rien de très croustillant. Le soir venu, le site s’active et je reçois mes premières demandes « d’arrangement », bel euphémisme ! VT BM est sans aucun doute le plus entreprenant : il me propose, non sans m’avoir auparavant poétiquement évoqué sa passion pour les « chattes absolument parfaitement épilées », 1500 euros par mois pour une relation exclusive avec lui afin que je m’occupe de « ses testicules ». Charitable, il se dit prêt à monter à 2000 euros si je suis vierge. À côté de ça, Darlands me propose 200 livres la nuit, en plus des frais de déplacement jusqu’à Londres. Pour TomThor, parisien, la cinquantaine, c’est plus arrangeant de venir à moi, et le pauvre projette avec entrain des dates pour me retrouver à Marseille, où il promet de « bien me traiter ».
HiddenCharms, tente une approche un peu plus romantique : « Coucou, tu es merveilleusement belle », m’écrit-il. Ce belge de 61 ans m’assure avoir travaillé à la Commission Européenne. Ses réponses sont longues et soignées. Il me dit ne pas payer les Babies et ne pas « avoir nécessairement de relations sexuelles » avec elles. Mais il finance tout de même le déplacement, le logement et des sorties pharaoniques à base de « cocktails et musique live » aux demoiselles en échange de leur compagnie. À savoir à quelle sauce je serais mangée sur place… Jim58, 60 ans, joue lui aussi sur son patrimoine pour espérer construire une relation à long terme avec moi : l’homme d’affaire danois m’énumère tous les caractéristiques et avantages qu’il y a à vivre dans sa « splendide villa en bord de mer » située sur la côte d’azur. J’ai presque l’impression qu’il veut me la vendre !
Les jours suivants, VT BM, à qui j’ai volontairement oublié de répondre, s’impatiente. Quand j’ai l’audace de lui demander ce qu’il veut faire avec moi, il dresse une liste de fantasmes sexuels si explicites et violents que j’en ai presque la nausée. Je comprends mieux pourquoi il paie si cher. Je le laisse tranquillement se noyer dans ses messages de relance lourdauds et désespérés. Abattue, je quitte le site au bout de deux jours, non sans une pensée pour les étudiantes en situation de précarité qui devront le rouvrir demain…
Louise Borreani
Enquête publiée dans le Ravi n°166, daté octobre 2018