J’ai testé pour vous
Ça commence mal. Sacha fait la gueule. Il est 9h ce mardi matin au marché de la Plaine à Marseille (1) et sa poignée de clients vient de se disperser. Assis à raz le sol sur une chaise de bureau, devant une table basse noire surmontée de quatre caisses (deux de son produit, deux d’agrumes) et de quelques verres, deux parasols protègent le tout du soleil, le camelot bougonne en s’allumant un clope.
Ça ne dure pas. Une nouvelle grappe de clients se forme autour de l’étal. Beaucoup de mamas un foulard sur les cheveux, quelques retraités seuls ou en couple. La quarantaine poivre-sel et bronzée, jeans remontés sur les mollets, tongs, Sacha attaque en montrant une photo en noir et blanc : « Mon grand-père en vendait boulevard Haussmann à Paris en 1961 ! » Puis, en dégoupillant une orange : « Je vieillis mal, avant j’arrivais à viser les filles ! »
Les bonimenteurs m’ont toujours fasciné. Leur « tchatche », « le folklore », pour reprendre les mots de Benoît, un quadra en ballade qui apprécie le spectacle. Leurs objets magiques aussi : la poêle qui n’accroche jamais, la râpe à légumes révolutionnaire, le balai-serpillère plus fort que Monsieur Propre. Aujourd’hui, ce sont surtout des parfums qui sont vendus par les camelots. 20 euros pour une dizaine d’imitations, sans oublier les cadeaux (crayons, sacs et autres bibelots).
Sacha, lui, vend des bistouquettes. Ça ne s’invente pas. C’est un presse agrume en plastique coloré, de la taille et de la forme d’un appeau à canards. Il fait ça « l’été », pour « [se] refaire, quand [il] en [a] besoin. » « En l’honneur de [sa] fille Mégane » aussi. Sacha est forain depuis ses sept ans. Pour décrire son métier, il parle de « symbolique du clown », de « bouffon », « d’art de rue ».
Son discours est bien rodé. Le client ferré, la démonstration commence. « Même mon oncle, qui fait le désespoir de ma grand-mère, l’utilise tous les matins. Il siège à l’Assemblée ! », débite le forain en vissant sa bistouquette dans un citron. Puis enchaîne : « Le soir du réveillon, y’a des huîtres, vous êtes habillés comme des milords. Un pépin saute dans l’œil de la belle-mère, vous vous en mettez sur le pantalon, les manches. Là, vous versez et le reposez dans un cocotier. » L’exposé oscille entre mérites de son produit, qu’il ne nomme curieusement jamais, et blagues. Sacha le reprend cinq ou six fois par heure. « J’ai rien inventé, c’est mon grand-père qui l’a faite », précise le quadra.
En général, le public apprécie, participe. Parfois une cliente veut connaître le prix avant la fin de la démonstration. Sacha l’engueule : « Je finirai mon orange plus tard, madame est pressée ! » Le prix n’est donné qu’au couplet final, c’est dans la chanson. Alors Sacha fait le ménage, pose sa bistouquette puis annonce enfin la bonne affaire en faisant glisser des pièces d’un euro devant lui : « Aujourd’hui, les deux sont à cinq euros et le troisième est gratuit. »
Bistouquettes et argent changent de mains. Un retraité lance une contribution collective pour faire baisser le prix de l’unité, pendant que je tends un billet de cinq euros. Dans une autre allée, un marchand hurle : « Cinq euros, moins cher qu’en Chine ! »
Jean-François Poupelin