J’ai rêvé d’un autre monde…
Un jeudi matin au parc Longchamp, à Marseille. On avait repéré l’endroit depuis un petit moment. Juste à côté des girafes et du tricératops. Pas loin du kiosque à musique. On recouvre quelques bancs d’un drap. On en tend d’autres entre les arbres. Des tapis au sol, des jouets dans les bacs et du thé dans la thermos. Et nous, la boule au ventre. Parce que c’est notre première. Alors, forcément, on est un peu nerveuses. Mais ça ne dure pas. Le dispositif attire l’œil. Et, petit à petit, les familles arrivent. Des parents avec leurs enfants. Une grand-mère et son petit-fils.
Aux adultes, on propose du thé. Aux enfants, après avoir inscrit leur prénom sur un tableau, des jouets. Et à tous, de profiter de ce moment pour souffler, se retrouver, se rencontrer. Bienvenue dans notre petit monde. Le monde de « Tout un monde ». L’idée ? Elle nous est venue en marge du festival « Paroles de Galère ». Nous, c’est Aurélie, Agathe et Marie-Line. Rencontre presque par hasard mais tout sauf fortuite entre une éducatrice de jeunes enfants, une infirmière et une animatrice socioculturelle, par ailleurs investie dans une école Freinet.
Trois professionnelles, trois jeunes mères qui, à force de fréquenter les structures d’accueil de la petite enfance de la cité phocéenne, ont décidé de se lancer : et si… on montait un LAEP, un lieu d’accueil enfants-parents ? Ces lieux où l’on remet enfants et parents au cœur de l’attention et au centre des préoccupations, à travers le jeu, le dialogue, les rencontres et l’observation.
Aurions-nous eu cette idée ailleurs qu’ici ? Peut-être pas. « On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille. On choisit pas non plus de grandir »… dans les rues de Marseille. Si, sur le papier, l’offre en matière de petite enfance pourrait paraître presque satisfaisante, dans la réalité, comme l’a souligné la chambre régionale des comptes, c’est loin d’être le cas. Manque de structures, inégalités territoriales… Et quand il y a un LAEP, il n’est ouvert que quelques demi-journées par semaine. Quant aux offres alternatives, elles ne le sont que pour ceux qui en sont proches. Et qui en ont les moyens.
Car s’il y a aujourd’hui des permis pour tout, pour devenir parent, il n’y a pas de formation. Et ce n’est pas comme s’il n’y avait pas d’exigence. A l’heure de « Super Nanny », ceux-là même qui prônent les coupes budgétaires sont les mêmes qui fustigent les « parents démissionnaires ». Des parents qui, pourtant, sacrifient tout pour leurs enfants. Avec, en première ligne, la mère, prête à renoncer à tout, y compris à travailler, pour s’occuper de ce qu’elle a de plus précieux. Un exercice sans filet. Ni droit à l’erreur.
Parce qu’on ne naît pas parent. On le devient. Et surtout parce qu’on n’est pas parent tout seul. D’où notre association. Tout un monde. Parce que d’élever nos gosses, on s’en fait tout un monde. Et que, justement, on pourrait s’en faire un. A nous. Un autre monde, évidemment. Où, sans condition de ressource ni jugement, des parents et leurs enfants pourraient être accueillis dans un cadre sécurisant et professionnel, anonyme et gratuit. Accompagner sans materner. Conseiller sans imposer. Orienter sans abandonner.
On commence à peine. Et pourtant, cela fait plus d’un an qu’on bosse sur notre projet. Il semblerait qu’investir dans l’avenir ne soit pas rentable. Voilà pourquoi, après avoir bénéficié de l’appui des structures de l’économie sociale et solidaire pour nous lancer et en souhaitant inscrire la petite enfance dans ce secteur, on a décidé de faire de nos faiblesses un atout. Faute de toit, nous nous installerons dehors. Sans lieu fixe, nous serons itinérants. Bienvenue dans notre monde. Le vôtre, si vous le voulez. Juste à côté des girafes et du tricératops. Pas très loin du kiosque à musique…